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Critique de domi_troizarsouilles


Ce livre me fait de l'oeil depuis un moment, entre autres parce qu'il parle de gens « âgés », ce qui n'est décidément pas le plus courant dans mes lectures pourtant assez éclectiques, et encore moins dans les mondes de l'imaginaire, où j'ai l'impression de me retrouver trop souvent face à des jeunes héros à peine pubères… Cela dit, il aurait pu rester encore un certain temps dans ma PAL, si deux des challenges auxquels je participe n'avaient pas demandé, pour l'un, de lire de la « light fantasy » en ce mois de janvier (ce que je n'avais encore guère fait jusqu'à présent, or janvier est sur le point de se terminer !) et, pour l'autre, de lire de la fantasy cette semaine du 24 au 30 janvier. C'était donc l'occasion de combiner ces deux exigences !

Nous sommes dans un monde assez typique de ce que je conçois comme de la fantasy « classique » - et je précise d'emblée : je ne suis absolument pas spécialiste, je lis relativement peu de fantasy car ce n'est pas mon genre de prédilection, et par ailleurs je n'ai jamais été adepte des jeux de rôle et autres univers de la sorte, qui semblent des références éternelles dès lors qu'on entre de plein pied dans une fantasy de type médiéval. Mais bon, je ne suis pas non plus complètement néophyte, j'ai lu quelques plus ou moins bon livres se réclamant de la fantasy, dont le « Seigneur des Anneaux », qui est à mon sens la valeur la plus sûre et incontestée dans le genre – et je parle bien du livre (avec ses différents tomes), que j'ai lus bien avant que leur succès n'éclate, notamment grâce aux films que, pour ma part, je n'ai pas aimés du tout… mais ceci est une autre histoire !

Bref, je livre mon petit avis qui ne se prétend pas éclairé : à mes yeux, on a ici un univers « classique » (je me répète) de type médiéval plus ou moins en paix, mais jamais pour longtemps, où des poignées d'humains cohabitent avec toute une série d'autres espèces plus ou moins évoluées, partageant même avec certaines la gestion de cités ou autre royaumes – dans lesquels ils ne sont pas forcément au pouvoir et/ou dominants. À l'image d'un moyen-âge un peu obscur qui fascine autant qu'il rebute, c'est un monde sombre où il faut se battre pour (sur)vivre, où tous les travers humains et bestiaux sont exacerbés. Les forêts, dont celle qui nous occupera ici, le Coeur de Wyld, représentent le mal et grouillent de créatures plus improbables les unes que les autres : on dirait que l'auteur s'est amusé à rassembler tout ce qui existait déjà dans la littérature fantastique (au sens large), en ces lieux maudits, en y ajoutant allègrement quelques-unes de son cru.
Pour éviter que de telles bêtes et bestioles s'en prennent aux habitants (non guerriers) des cités, outre quelques rares factions d'armée plus ou moins officielles, plus ou moins rivales, qui n'ont surtout pas l'air très efficaces, la sécurité des cités est assurée par des groupes de mercenaires appelés « roquebandes », généralement composés de quelques guerriers (pour ne pas dire tueurs), d'un magicien qui les assiste et d'un barde qui chante leurs exploits – tout cela se déclinant, en tout ou en partie, également au féminin bien sûr ! Ces roquebandes fonctionnent sur base de contrats, que négocie pour eux un manager, les envoyant à gauche à droite pourfendre l'un ou l'autre monstre… Il y a aussi chaque année la « Route du Roque », une espèce de festival où se retrouvent toutes ces bandes, à boire et à s'(auto)admirer !

Dans ce contexte, la roquebande Saga a été l'une des meilleures et ses exploits sont chantés et connus un peu partout dans ce monde… mais elle a été dissolue 19 ans plus tôt, ses membres ont vieilli (leur âge n'est jamais dit, mais on leur imagine la cinquantaine, voire une petite soixantaine – n'oublions pas que trois d'entre eux sont tout juste pères, et leurs enfants sont, pour les plus âgés, à peine jeunes adultes, ils ne sont donc en rien des « papys » comme j'ai lu ici ou là !) et ont pour la plupart choisi des vies en retrait de leurs exploits passés, d'une façon ou d'une autre. Jusqu'au jour où l'ancien meneur, Gabriel, vient prier Clay, en quelque sorte le sage de la bande, de l'aider à délivrer sa fille Rose, elle-même jeune guerrière, mais prisonnière d'une cité lointaine, assiégée par une horde de monstres dominée par un être apparemment assoiffé de gloire, de sang ou peut-être de revanche… Autant dire que c'est une mission impossible, car les ex-membres de Saga n'ont plus guère de contacts entre eux, et comme dit précédemment, ils sont désormais « vieux », commencent à sentir des douleurs matinales et ce genre de choses que mes presque-50 ans ne peuvent que plussoyer ! et doutent très fort d'être encore capables d'un quelconque exploit… à cinq contre une horde infernale ?? Mais Clay, lui-même père, se laisse attendrir et finit par accepter. Il leur reste donc à reformer la bande – avec Mattrick le guerrier alcoolique devenu roi, Moog le mage aussi imprévisible que fantaisiste, et Ganelon le tueur-né mais emprisonné depuis tout ce temps – et tenter d'aller sauver Rose, car il est impensable de l'abandonner…

Ces quelques mots suffisent à relever ce que de nombreux commentaires ont souligné : Nicholas Eames fait un parallèle saisissant entre le monde du rock, et cet univers médiéval de mercenaires organisés en groupes qui tentent de percer pour obtenir des contrats ! J'ai lu un certain nombre de critiques trouver cela génial… et j'aurais mieux fait de ne pas les lire à l'avance, car j'ai été un peu déçue sur ce point : certes, le vocabulaire s'approche à plus d'une reprise du monde du rock, mais le parallèle s'arrête là ! Il n'est même pas question, réellement, de musique – or, qu'est-ce que le rock sinon de la musique ?-, si ce n'est à travers le batingting de Tik (je vous laisse découvrir ce charmant personnage !) ou, plus généralement, ces bardes qui accompagnent les roquebandes… sauf que Saga n'a jamais pu conserver le moindre barde, justement : ils se sont fait tuer les uns après les autres dans des circonstances parfois très saugrenues, évoquant plutôt le barde à la Assurancetourix, qui fournit une certaine présence, un peu ridicule, mais qui reste très clairement à la périphérie de l'histoire.

En parlant de mots : il est évident que l'auteur joue avec, et j'en ai sans doute loupé plus d'un. Je ne sais comment était écrit « roquebande » dans l'original, mais en tout cas c'est bien trouvé pour la traduction. Cependant, je note au passage que le traducteur (ou l'éditeur ?) n'a pas tout à fait été au bout de son travail, car certains passages, ou tout simplement certains mots auraient mérité une petite « note du traducteur ». Je pense notamment au personnage de Clay : je ne sais pas jusqu'à quel point ce prénom est courant (ou tout simplement existe ?) en anglais, mais je pense que le lecteur francophone lambda ne sait pas forcément que ça signifie « argile »… c'est-à-dire un matériau aux très nombreuses ressources, ce n'est définitivement pas innocent ! Certes, un personnage nommé « Argile » aurait été… bizarre ? mais signaler que son prénom signifie bien quelque chose de solide aurait été un minimum. Plus évident encore : le Coeur de Wyld, on change le y pour le i d'origine et on a alors « sauvage », mais cela n'est dit à aucun moment !
Ou alors, toutes les armes (ou presque) utilisées dans les différents combats portent des noms ; certains semblent intraduisibles (comme les épées Vellichor ou Tamarat), d'autres sont données dans une pseudo-langue mais tout à fait compréhensibles (comme la faux du druine Ombre, que l'on nommera… Umbra), mais le marteau de Clay par exemple, porte un nom qui aurait dû être traduit, ne serait-ce qu'en note de bas de page pour information (mais ne l'est pas) : Wraith, c'est-à-dire le spectre !
Certes, l'anglais est devenu une langue internationale largement répandue, mais je trouve malséant, irrespectueux envers le lecteur francophone, de présupposer que tous connaissent suffisamment cette langue étrangère, et ainsi laisser de côté ceux qui ne la connaissent pas ? comme s'il était obligatoire de connaître l'anglais pour lire une traduction !...

Cependant, malgré cette légère déception par rapport à mon attente d'une vraie ambiance rock, et ce dépit de constater que certains traducteurs ne font pas tout à fait du bon boulot, j'ai été très vite happée par ce monde et ses quelques personnages réellement attachants ! Ils sont cinq personnages principaux, même si Clay est indéniablement la référence principale, pour le lecteur comme pour son groupe. Il est tellement, tout simplement, humain, oscillant entre ce passé de gloire, cette loyauté à ses amis, ses frères même, au sein de cette roquebande d'une part, et l'amour de sa femme et de sa fille d'autre part, femme à qui il a promis en l'épousant de ne plus jamais être ce « monstre » qu'elle voyait en lui quand il faisait partie de Saga… À ses côtés, je n'ai pas tout à fait accroché à Mattrick, dont l'alcoolisme assumé me dérangeait bien un peu, ni à Gabriel qui semblait ne pas trop savoir se décider entre un côté larmoyant et un autre côté « petit chef » tout à coup ultra-décidé ; en revanche, j'ai beaucoup apprécié Moog et son grain de folie qu'on associe si bien à un mage un peu décalé, et la froideur calme, impassible de Ganelon.
À leurs côtés, toute une série de personnages secondaires évoluent, dont un certain nombre seront récurrents, pas forcément humains au sens « technique », mais eux aussi sont tous terriblement animés de ces côtés pervers, calculateurs ou au contraire tendres, attentifs aux autres ou tout simplement joyeux, parfois un peu tout ça à la fois, et qui font tous ensemble ce que j'appelle être « humain », même quand on fait partie d'une autre espèce (toute imaginaire), capable de raison suffisamment proche.

Et tout cela ne dit pas que, même si nos personnages évoluent effectivement dans un monde indéniablement sombre, l'auteur nous gâte de touches d'humour constantes, de petites dédramatisations même dans les situations les plus critiques, de traits légers de la part des uns ou des autres, qui détendent, et qui font même parfois réellement éclater de rire ! C'est un humour sans prise de tête, souvent décalé, discret mais omniprésent tout à la fois. le mage Moog et sa fantaisie est sans conteste leader en la matière, mais on a aussi quelques passages tout à fait savoureux – pour ne citer qu'un exemple : on a une scène assez surréaliste avec des cannibales, j'étais pliée de rire !
J'ajouterai à ça que j'ai bien apprécié les quelques passages narrant les quelques batailles : à nouveau, je ne suis pas spécialiste du genre, mais j'ai lu plus d'une fantasy où les récits de bataille étaient à peine survolés, comme si les auteurs (que je ne citerai pas) ne savaient plus quoi faire à cet instant décisif, préférant les intrigues de cour ou individuelles, mais incapables de rendre les sensations d'un champ de bataille, le goût du sang, l'odeur de la mort. Je trouve que Nicholas Eames relève joliment le défi, alors même que son livre est sensé se situer du côté d'une fantasy « légère » !

Et en effet, c'est une écriture joyeuse, résolument optimiste même dans les moments de doute, qu'elle rend cependant avec une réelle justesse ; une écriture allègre mais grave quand c'est nécessaire, qui mène le lecteur vers son but du début à la fin, qui finit par lui faire croire que « c'est possible » même dans les moments les plus désespérants. Bien entendu, on sait (ou du moins on devine) que tout ça finira bien, car clairement le but de l'auteur n'est pas de nous faire aboutir à un drame, même s'il nous fait passer par plus d'un moment délicat (et c'est peu dire !) ; bien entendu, toute l'histoire est émaillée de (très) nombreux rebondissements, quelques retournements de situation aussi – et si certains apparaissent comme trop « faciles », à la limite du rock-ambolesque, d'autres sont réellement surprenants.

J'ai donc passé un très bon moment de lecture, parfois un chouïa longuet mais vraiment sans que ce soit ennuyeux (après tout, on est presque à 600 pages pour le broché, ce n'est pas rien !), en plongée dans un monde de type fantasy médiévale sombre où nos héros bien attachants ne sont plus des jeunots, mais où l'humour léger et décalé de l'auteur ne cesse de dédramatiser les situations les plus graves sans les éviter pour autant, dans une écriture résolument optimiste même dans les moments de doute, qui sonne juste dans les moments plus graves, et qui joue avec les mots… qui auraient gagné à être un peu mieux traduits !
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