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Critique de JustAWord


Greg Egan, légende vivante du monde de la science-fiction moderne, revient aux éditions du Bélial' après de nombreuses années d'absence…du moins dans la forme longue puisque la dernière traduction d'un de ses romans remonte à 2012 avec Zendegi.
Auteur très prolifique, l'australien est également connu pour ses textes courts franchement formidables que l'on peut retrouver dans trois intégrales indispensables : Axiomatique, Radieux et Océanique.
Bien décidé à publier dans l'Hexagone l'un de ses romans les plus remarqués, Diaspora, le Bélial' a donc fini par confier la traduction de ce roman de hard-SF à Francis Lustman pour que le commun des mortels puisse enfin y avoir accès…enfin presque.

Rêver en cinq dimensions
Tous ceux qui ont approché Greg Egan le savent : sa science-fiction n'est pas des plus aisées, bien au contraire. Si la chose a tendance à moins se ressentir dans ses nouvelles (quoique…), dans la forme longue, il en va tout autrement.
Sorti en 1997, Diaspora s'aventure dans un terrain de hard-SF intergalactique multi-dimensionnelle qui a de quoi impressionner.
Posons d'abord le cadre.
Le récit commence par la naissance d'un citoyen de la polis Konishi — un réseau d'ordinateurs qui sert d'infrastructure à une communauté de logiciels conscients et où des personnalités numérisées peuvent vivre sans limite aucune dans des univers virtuels d'une complexité parfois extrême— et par son éveil à la « conscience ».
Dans ce fabuleux premier chapitre, Greg Egan plonge d'emblée son lecteur dans un monde totalement autre mais qui se déguste lentement comme une peinture abstraite où quelques points de repères permettent de comprendre le lent processus de maturation de l'entité appelée Orphelin et qui deviendra rapidement le citoyen Yatima. C'est beau, vertigineux…et passablement hermétique parfois. Mais soit.
Pour la suite, Greg Egan, par petites touches, dévoile une société post-Introde fascinante et vertigineuse.
Qu'est-ce que l'Introde ? La migration de masse des humains de chair et de sang qui a eu lieu vers la fin du XXIIème siècle pour intégrer les environnements virtuels des polis.
Il existe donc trois « populations » qui cohabitent : les citoyens numérisés des polis, les enchairés (ceux qui ont choisi de rester de chair et d'os) divisés eux-mêmes en statiques (uniquement composés de gênes naturels) et en exubérants (qui n'ont aucune limite dans la manipulation de leurs gênes), et les gleisners, des robots conscients qui ont une existence matérielle.
De ce cadre déjà fantastiquement riche, Greg Egan se charge de nous faire rêver sur les conséquences de ces modifications à la fois sur l'homme lui-même mais aussi sur sa perception de l'univers connu. Par le truchement de l'explosion de deux étoiles à neutrons surnommées le Lézard, l'australien disserte sur la quête de sens et l'origine de l'existence (et même de l'univers) en suivant les multiples vies de citoyens des polis tels que Yatima, Paolo, Blanca ou encore Orlando.

Y'a pas de lézard, si ?
Le problème qui vient brutalement s'interposer entre le lecteur enthousiaste et cette histoire aux tenants et aboutissants gigantesques…c'est la propension à la hard-SF de Greg Egan.
Ce n'est une surprise pour personne mais l'australien n'a pas l'intention de modérer ses propos et l'on se retrouve vite immergé dans des théories physiques et quantiques de haut niveau, dans des mathématiques plus ou moins abstraits et des dialogues parfois…surréalistes du style :
« Confiner spatialement une onde produit l'effet inverse sur la répartition de son moment. L'énergie cinétique, étant proportionnelle au carré du moment, est donc en carré inverse. de sorte que la force effective, qui est égale au taux de variation de l'énergie cinétique avec la distance, est en cube inverse. »
Si la volonté d'appuyer les péripéties de son voyage vers l'inconnu et la recherche d'une vie extraterrestre peut amplement se comprendre, l'hermétisme gagne le récit au fur et à mesure des pages et fluctue selon les événements présentés. Lorsque Greg Egan nous fait découvrir une planète et se contente de décrire les formes de vies qui l'habitent, tout se passe plus ou moins bien. Dès lors qu'il plonge dans les mystères de l'univers, dans les bosons, fermions, macrosphère, horizon des événements et autres théories, le récit devient simplement indigeste au possible.
En privilégiant la pure construction scientifique au reste, il laisse le lecteur en plan qui se demande ce qu'il se passe et doit juste se contenter de rassembler quelques petits brins de compréhension décrochés ici ou là.
Il n'est pas impossible de suivre les événements de Diaspora, au contraire, mais l'on se trouve régulièrement empêtré dans des considérations qui nous dépassent totalement…et c'est particulièrement désagréable et épuisant.
D'autant plus que le récit n'est pas aidé par l'écriture traditionnellement aride de Greg Egan qui ne permet donc d'avoir aucune espèce d'empathie avec des personnages plus proches du robot que de l'être humain (forcément).

Vers l'infini et l'au-delà
Ce handicap majeur à la lecture n'empêche cependant pas l'ébahissement face au sense-of-wonder déployé par Greg Egan.
En visitant de multiples autres planètes, puis univers et en réfléchissant sur les chemins d'évolutions possibles de la post-humanité à travers les polis, l'australien impressionne. Sa capacité à imaginer un futur qui donne le vertige (notamment par les échelles temporelles employées ici) ne peut que réjouir le lecteur de science-fiction.
Xénobiologie et nouvelles dimensions, Diaspora offre des visions saisissantes qui marquent durablement. Si le reste du récit ne s'embourbait pas régulièrement dans de lassantes considérations physico-mathématiques, on aurait clairement à faire à un chef d'oeuvre du genre.
D'autant plus que l'australien réfléchit ici sur le rôle de la curiosité intellectuelle qui pousse l'homme (et le post-humain qui lui succède) à aller toujours et sans cesse plus loin. Diaspora renferme une frénésie intellectuelle particulièrement remarquable qui sait aussi s'interroger sur les vieux motifs de l'humanité (et sur ses croyances) ainsi que sur l'importance d'interagir avec le monde réel, ce monde physique où la chair rencontre la matière.
Doit-on expérimenter par le toucher et les quatre dimension pour véritablement exister ?
Greg Egan passionne quand il confronte ces points de vues, éblouit quand il nous fait rencontrer des civilisations extra-terrestres improbables, réjouit quand il tire vers l'infini son roman vers une fin ouverte qui veut à la fois aller plus loin et savourer l'instant.
Dommage qu'il ne comprenne simplement pas qu'un roman digne de ce nom fonctionne d'abord avec une trame narrative et des personnages plutôt qu'avec des nombres et des équations.
Les mathématiques ne suffisent pas.

Roman vertigineux qui offre du sense-of-wonder jusqu'à l'étourdissement, Diaspora expose un (des ? ) univers extraordinaire à son lecteur mais oublie que le commun des mortels n'a pas forcément l'envie qu'on lui parle de physique et de mathématiques pendant des pages et des pages pour apprécier le spectacle des atomes et des étoiles. Une grande déception qui dépendra aussi certainement de votre niveau de connaissance scientifique et/ou de votre persévérance.
Lien : https://justaword.fr/diaspor..
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