Livre audio: AXIOMATIQUE de Greg EGAN...
Elle considéra le lointain soleil de Tassef avec des émotions contradictoires, comme un marin se remémorant le dernier arpent de terre ferme.
Le bateau montait et descendait doucement sous l’effet de la houle. Ma respiration se fit plus lente, se mit en phase avec le grincement de la coque jusqu’à ce que je ne puisse plus faire la différence entre le faible mouvement rythmique de la cabine et la sensation de remplir et de vider mes poumons. C’était comme flotter dans le noir : à chaque inspiration, je remontais légèrement ; à chaque expiration, je coulais à nouveau.
« Est-ce que tu crois en Dieu ? » dit distinctement mon frère Daniel dans la couchette au-dessus de moi.
Le sommeil se dissipa aussitôt mais je ne répondis pas immédiatement. Je n’avais pas fermé les yeux mais j’avais l’impression, dans la cabine sombre, d’une obscurité en mouvement, de flocons de lumière fantomatiques s’agitant comme un nuage d’insectes qu’on aurait dérangés.
Quand le rayon est tombé sur les boucles emmêlées d'une chevelure auburn, j'ai pensé : il ronge une tête humaine. J'ai continué d'avancer. J'attendais une réaction en espérant que le déranger pendant qu'il était en train de se nourrir serait une provocation suffisante pour qu'il m'attaque. Je portais une arme qui aurait pu le vaporiser en un fin brouillard de chair et de sang, une issue qui m'aurait apporté bien moins d'ennuis et de paperasse que la capture de l'animal vivant. J'ai à nouveau dirigé la lumière vers le haut de la bête et j'ai réalisé que je m'étais trompé. Il ne rongeait rien. Le crâne de l'animal était caché, et la tête humaine était tout simplement... Non, ce n'était toujours pas ça. La tête humaine était tout simplement unie au corps de l'animal. De la fourrure et des taches apparaissaient sur le cou humain, qui se fondait dans les épaules du léopard. Je me suis accroupi à ses côtés en songeant - avant toute chose - à ce que ses griffes pourraient me faire si j'avais ne serait-ce qu'un moment d'inattention.
"Tu sais ce que c'est, les jeux d'argent ? Une sorte de taxe: une taxe sur la stupidité. Une taxe sur la cupidité. Une certaine quantité d'argent change de mains de façon aléatoire, mais le flux va toujours dans le même sens: vers le gouvernement, les opérateurs de casinos, les bookmakers, le crime organisé. Si jamais tu gagnes, ça ne sera pas contre eux. Ils prendront toujours leur part. Tu auras gagné, oui, mais contre tous les perdants, contre tous les fauchés, et c'est tout."
Quelqu'un ou quelque chose l'avait incarnée, ou la faisait fonctionner comme un logiciel.
Qui se soucie de justice lorsque les serveurs de jeu ne peuvent plus tourner ?
En réalité, les êtres humains sont capables de tout : torture, génocide, cannibalisme, viol. Après quoi - du moins, c'est ce que j'ai entendu dire -, la plupart d'entre eux sont encore capables d'être gentils avec les enfants ou avec les animaux, d'être émus aux larmes, par une musique, et de se comporter, en général, comme si toutes leurs facultés émotionnelles étaient intactes.
(Dans "Un amour approprié")
Comment le goût du succès pouvait-il être si amer?
Elle fit glisser ses mains le long des flancs de Paolo, jusqu'à ses hanches. Ils firent l'amour avec leur corps et leur cerveau traditionnels ou presque. Lorsque son système limbique passa la surmultipliée, Paolo trouva la chose amusante au point de perdre toute concentration ; il se souvenait cependant suffisamment de ce qui s'était passé la dernière fois pour cesser de s'observer et se laisser aller à cet étrange détournement. Ce n'était pas comme faire l'amour de manière civilisée — le taux d'échange d'informations était minuscule, par exemple — mais ça avait cette qualité brute et pressante qui caractérisait la plupart des plaisirs ancestraux.
— Personne ne grandit jamais, dit-il. C'est l'un des mensonges les plus écœurants qui circulent. On change. On trouve des accommodements. On échoue dans des situations qu'on a pas voulues... et on fait contre mauvaise fortune bon cœur. Mais n'essaie pas de me dire que c'est là un genre de... glorieuse ascension préprogrammée vers la maturité affective. C'est faux.