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Critique de Malivriotheque


Mae n'en revient pas : elle travaille au Cercle, l'endroit le plus in et le plus influent de la planète ; une tech-company qui fait rêver tout un chacun et traite ses employés comme des rois. Elle ne cesse de remercier Annie, son ex colloc de fac qui l'y a fait rentrer. Si Mae montre dès les premiers jours de l'enthousiasme à travailler, elle met toutefois du temps à s'habituer aux us et coutumes de la boîte, centrée sur le partage. Il ne lui faudra pas longtemps pour s'intégrer parfaitement et faire tout ce qu'on lui demande, sans se rendre compte qu'une transformation s'opère en elle...

Si vous avez lu et aimé 1984 (Orwell), le Meilleur des mondes (Huxley) ou encore Fahrenheit 451 (Bradbury), il faut compléter avec le Cercle, tout aussi ambitieux, d'autant plus qu'il est complètement ancré dans le monde numérique moderne qui nous entoure et gère notre vie depuis qu'internet est devenu accessible au grand public et que les réseaux sociaux ont émergé.
Le Cercle, c'est une compilation contemporaine et revue au goût du jour du pire que l'humanité avec ses grandes idées puisse nous réserver.
Le Cercle, c'est une allégorie même pas cachée du pouvoir que les géants de l'informatique tels Facebook et Google détiennent aujourd'hui ; pouvoirs sur l'information (et a fortiori la désinformation), sur la vie privée (et a fortiori ce qui ne le sera plus jamais vraiment), sur la liberté d'expression (ou pas) et la personnalité propre en fonction du regard d'autrui (comme si on était les mêmes IRL et online...).
Dave Eggers nous présente une société fictive aux relents bien réels installée sur un campus californien aux airs paradisiaques calqué que le modèle des tech-companies de la Silicon Valley, comme Facebook à Palo Alto (qui zyeute grandement sur Menlo Park et une future expansion de la taille d'une ville), Apple et son tout nouveau Apple Park à Cupertino (déjà trois campus dans la région, pourquoi s'arrêter là ?), ou même le Googleplex à Mountain View de Google, qui ne cesse de croître et vient encore d'acheter des milliers de mètres carrés à San Jose. Des villes dans des villes (et je ne vous parle pas du gravissime problème de logement qui court actuellement dans la Bay Area à cause de ça, généré entre autres par une politique depuis vingt ans d'acceptation de construction d'entreprises mais pas de logements, bref une toute autre histoire... ou pas). Ces entreprises, on le sait (et l'on pourrait aussi citer Amazon), ont ce qu'on appelle le monopole dans leurs marchés respectifs. L'auteur ne fait qu'à peine exacerber cette capacité d'un groupe unique à concentrer tous les pouvoirs et toutes les informations, et a ainsi, seulement cinq ans avant le drame Cambridge Analytica, dénoncé le fait que ces géants ne faisaient que bouffer nos données personnelles, les compiler, les analyser, les décortiquer pour mieux les utiliser, les revendre à prix d'or, pour mieux cibler, viser, attaquer de manière insidieuse les pauvres victimes consentantes malgré elles que nous sommes. Parce que nous aimons ces gadgets ; nous sommes devenus, volontairement ou non, des dépendants insouciants et imprudents.
Eggers ne fait, dans cet ouvrage, que pousser à peine des limites déjà atteintes et souvent déjà repoussées. Sous couvert à chaque fois de bonnes intentions comme le but d'éradiquer les violences familiales, les enlèvements d'enfants ou le crime en général, les personnages responsables de la firme développent les dernières technologies capables d'enlever toute liberté individuelle, se préparant derrière une pluie de smileys à une tyrannie globale qui de loin n'en a pas l'air mais que personne ne pourra jamais combattre.
Sans jamais dire que derrière toutes ces innovations censées régler tous les malheurs du monde il y a des atteintes graves et supplémentaires à l'indépendance, le lecteur comprend toutefois très vite les enjeux et problématiques que suscitent de tels "progrès". On écarquille les yeux, on lâche des "oh, purée" d'hallucination tant on ne serait probablement pas d'accord qu'un pas en avant vers la sécurité nous ramène trois pas en arrière vers une autorité despote et l'hégémonie, que tout le monde puisse voir à n'importe quel moment où on est et ce qu'on fait, ce qu'on a mangé, ce qu'on pense, si on est endetté, si on a voté aux dernières élections et surtout pour qui, si notre cholestérol a augmenté voire même si on a des criminels dans la famille, idées toutes développées dans ce livre (d'ailleurs, aurions-nous tout autant halluciné en 1990 si on nous avait dit qu'un jour on partagerait nos photos et notre vie à des inconnus qui peuvent interagir avec nous en un clic ? Et aurions-nous été d'accord que ces plateformes soient utilisées pour nous bombarder de publicités, nous inciter à l'achat jusque dans notre maison, collecter nos données personnelles tout en sachant que n'importe qui, même à 10 000km et sans s'être jamais vus, pourrait critiquer ce qu'on fait et ce qu'on dit, jusqu'à même qui on est et tous les pauvres détails qui peuvent emballer une photo ou un commentaire, ou nous traiter de tous les noms sans justification ? Aurions-nous dit "oui" à une telle société ?).
Le Cercle, c'est purement et simplement une secte. Ses employés, incités à ne jamais quitter le campus qui dispose de tout (pratique, non ? Oui mais...), sont tous complètement façonnés et moulés dès leur arrivée, sont tous des disciples inconscients d'une organisation qui se cache derrière la technologie et le fric, derrière les cadeaux, la bouffe gratuite, l'abonnement à la gym inclus, les massages fournis, la boutique sur place et le gîte/couvert offerts. Les trois grands patrons se font nommer rien de moins que "les 3 Sages", qui d'ailleurs eux ne participent pas franchement à toute la "transparence" qu'ils réclament de leurs collègues et de la population mondiale. On y reconnaît en outre l'empreinte d'une société telle que celle de l'Eglise de Scientologie, dont le but scandé est la création "d'une civilisation sans folie, sans criminel et sans guerre, dans laquelle les gens capables peuvent prospérer et les gens honnêtes peuvent avoir des droits, et dans laquelle l'homme est libre d'atteindre des sommets plus élevés", mais dont les méthodes sont loin de rejoindre leur candide slogan, et pour qui la pression, l'intimidation, le chantage, l'interdiction de circuler hors du cocon et la pensée totalitaire sont de mise. Exactement comme au Cercle, qui pense aussi avoir une mission, celle de rendre le monde transparent, accessible à tous, car le savoir est la propriété de tous. Car rappelons-le, au Cercle : Partager, c'est aimer ; garder pour soi, c'est voler". Notons d'ailleurs, entre brèves parenthèses, qu'à leur système nommé TruYou (qu'on pourrait traduire par "le vrai soi") on pourrait simplement ajouter une lettre et obtenir ThruYou ("à travers soi", dans le sens "je vois tout de toi"), une simple distorsion orthographique et phonétique qui veut pourtant tout dire...
Quant à ce qu'ils exigent de leurs employés qui bossent chacun avec neuf écrans d'ordinateur, deux bracelets électroniques et un casque audio qui parle tout le temps, ça peut s'assimiler à de l'asservissement, de l'abus de pouvoir, de l'esclavagisme pur et simple que les pauvres brebis pas errantes du tout (et c'est ça le pire) se voient contraintes d'accepter, parce que ça a l'air normal, que c'est comme ça que ça marche ici, qu'on le demande avec le sourire et parce qu'on leur a bien fait comprendre qu'ils faisaient partie d'une communauté, d'un avenir en marche, qu'on leur a servi le blabla de la chance d'être un écrou dans le changement imminent de l'ordre mondial (prenez "ordre" dans les deux sens) et que sans eux le Cercle ne serait rien et que le Cercle, bien sûr, les aime.
Et puis toute la notion du regard de l'autre. Des autres, de la communauté. du monde. Les exigences relationnelles, le pouvoir d'un pouce levé, d'un commentaire. L'influence, les followers, le reflet de soi dans les écrans des autres. le harcèlement de l'image. La perte de son identité propre soumise au jugement de la masse...
Ce livre, qui n'est pourtant pas écrit dans une prose phénoménale, il faut l'avouer, fait néanmoins immensément réfléchir à notre condition actuelle, notre nouveau moi face au monde virtuel, à ce que le monde informatique peut aussi bien nous offrir que nous voler.
C'est de l'anticipation ? Non, c'est demain. C'est maintenant.
Brillant.
Lien : http://livriotheque.free.fr/..
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