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Critique de Apoapo


Entre 1928-1931, le très jeune Mircea Eliade réside à Calcutta, doté d'une maigre bourse, pour apprendre le sanskrit et la philosophie indienne. Ce livre est constitué d'une version très écourtée du journal intime que l'auteur tient à cette époque, pour se détendre de ses longues journées d'étude ainsi que de la rédaction d'une oeuvre romanesque naissante, et pour épancher ses humeurs fortement dépressives.
Contrairement aux attentes légitimement suscitées par les deux titres successifs de l'ouvrage – Journal des Indes et Les Routes de l'Inde – Eliade décide de supprimer de cette version publiée la substance qui eût été sans doute la plus intéressante : ses impressions du pays et du milieu social qu'il découvre, le journal de l'avancement de ses travaux, ses voyages en Inde, les échanges avec ses maîtres et autres personnages importants (la rencontre avec le grand poète Tagore est lamentablement réduite aux moindres termes), la situation politique particulièrement tendue de ce pays qui commence à lutter pour son indépendance. Hélas, à part un Intermède d'un quinzaine de pages sur ce dernier point, entre le Deuxième et le Troisième cahier, lequel est formé de notes extrêmement synthétiques sur des personnes et événements, sans aucune réflexion ni commentaire, le livre porte les marques des coupures de tout ce matériau d'une grande valeur.
Que reste-t-il donc ? Principalement deux choses. le quotidien de ses relations sociales et surtout sentimentales avec les jeunes filles qui gravitent autour de la pension de Mme P. chez qui l'auteur habite, et les états d'esprit qu'il traverse au cours de ces années de surmenage studieux. Les deux sont caractérisées par une profonde insatisfaction, allant par moments jusqu'à la haine de soi. le jeune homme se lamente de tout ce qui est prosaïque dans ces relations, de sa manière de passer tout le temps soustrait au travail intellectuel, et pourtant s'y vautre en alternant remords et concupiscence. Son défaut d'acceptation de soi et de ses actes mêlé d'un égotisme exorbitant, qui n'est sans doute pas sans rapport avec l'âge, il le qualifie d'humiliation, à la fois de soi-même et des autres, en particulier des jeunes filles avec lesquelles il a des relations. Avide d'ascétisme, qui est aussi son sujet de recherche, il considère ses écarts comme autant de « chutes », de dégradations, de « vulgarités », il donne de lui-même une image de gros fumeur, buveur, volubile et séducteur qui est peut-être surtout une représentation auto-dénigrante du jeune myope sociopathe.
Pourtant certains fragments sonnent particulièrement justes pour qui a eu une expérience de jeunesse semblable – long séjour d'études poussées dans un pays étranger éloigné de ses origines. Je pense surtout aux pages où sourdent les sentiments de nostalgie, d'être un étranger aux autres et à soi et les interrogations sur sa place là où l'on se trouve. En dérivent aussi plusieurs observations d'une grande acuité sur l'environnement en voie d'être découvert, l'entourage mixte dans lequel on peut évoluer, et même d'ordre plus général qui méritent d'être méditées au fil des pages.
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