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Critique de 4bis


Vous avez-vous aussi, chers amis Babelio, de ces moments où, écoeurés de lectures trop formatés, piteux peut-être de vous être vautrés dans la facilité d'un page turner, vous rêvez aux arides heures qui ont formé vos lectures de jeunesse ? de ces moments où les longues descriptions des Confessions, les digressions un peu pompeuse d'un Balzac étaient votre pain quasi quotidien et où le summum de l'agitation romanesque résidait dans un dialogue bien troussé ? L'été est propice à ce genre d'évocations douces amères. Avec lui vient le loisir aussi de tenter à nouveau cette échappée dans quelque bon gros classique du 19e siècle, ce challenge qui consiste à croire que notre attention peut encore soutenir un rythme qui ne soit pas effréné, un roman qui n'ait pas été écrit selon les règles des as du marketing littéraire. Ceci et une émission de radio mentionnant George Eliot expliquent ma découverte du Moulin sur la Floss.
Comme la mer, avant le réchauffement climatique, au début, la rencontre fut frisquette. A force de me persuader que c'était merveilleux un roman qui ne parle de rien, qui fasse la part belle aux sensations et émotions de ses personnages en faisant fi de toute péripétie sur tant de pages, j'ai manqué plusieurs fois m'endormir et renoncer. Pourtant, ces premières pages sur l'enfance de Maggie, son rapport à la nature et la vigueur avec laquelle s'imprime tous les ressentis dans son jeune coeur sont absolument charmants. le temps n'impose rien, les journées ne s'écoulent que cadencées par les émotions fortes que provoquent des retrouvailles, une visite familiale ou mille autres petits riens. La rivière coule de tout son flot, les grands frères sont brutaux et injustes, les petites soeurs espiègles et redoutables. Les vieilles tantes ne comprennent rien à rien et la bêtise des pères, pourtant respectés et adorés, fait frémir le lecteur.
C'est ainsi que peu à peu se dessine une trame romanesque et que les principaux personnages tissent ce qui s'apparente alors à un roman d'apprentissage autour de la bêtise du père. Laquelle bêtise lui vaudra ruine, maladie et mort. A partir de ce programme peu réjouissant, le roman se concentre sur Tom et Maggie, les deux enfants, et la manière dont chacun va faire sienne une morale personnelle lui permettant de dépasser l'adversité. Maggie, de sauvageonne indomptée devient peu à peu une splendide jeune fille recueillant tous les suffrages. A elle donc de se gouverner et de trouver une voie entre la piété filiale, l'affection enfantine pour d'anciennes attaches et la redoutable passion qui la saisit malgré tous les interdits.
Pour le coup, dans cette partie du livre, il y a beaucoup plus d'action et l'ouverture prend une autre résonnance à la lumière de tous les malheurs affectant nos pauvres personnages. On y songe comme à un paradis perdu, dont la douceur vaut moins pour les souvenirs heureux qu'il contient vraiment que pour son caractère inexorablement révolu. Un peu comme moi avec mes lectures adolescentes, tiens.
Avec notre oeil féministe contemporain, on pourra reprocher à cette pauvre Maggie de ne pas aller au bout de ses désirs et d'accepter que la morale considère différemment son action de celle des hommes. Mais on pourra admirer aussi le raffinement avec lequel les grands sentiments torturent cette pauvre jeune fille et combien se livre en elle ce combat entre inclinaison personnelle et altruisme. Il y a sans doute un dessein édificateur derrière cette narration mais il n'a rien de simpliste et je n'ai pas pu me résoudre à trancher sur ce qu'elle invite ses lecteurs à penser. Cela fait partie du charme désuet du livre et remet en perspective des notions de morale qui nous semblent complètement étrangères. C'est aussi cette complexité du personnage de Maggie qui ne se résout dans rien d'univoque qui fait l'intérêt d'un tel ouvrage.
Emportée par tout cela, et malgré quelques passages que j'ai trouvés assez longuets, j'ai finalement triomphé du Moulin sur la Floss avec beaucoup de plaisir. Cette lecture ne m'aura pas simplement dépaysée un temps. Plus subtilement, en déployant des motifs sans doute évidents pour son siècle, elle a fait résonner la singularité des nôtres et donné à réfléchir sur la valeur tout sauf absolue de ces derniers. Ce n'est jamais inutile.
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