Quand tu verras Sadie

J’ouvre les yeux, mais il ne regarde pas dans ma direction – il renifle le sol. Va-t-il sentir mon odeur ? À moins qu’elle se confonde avec celle de sa nouvelle maison ? Ça fait si longtemps que je n’ai pas eu de chien que je ne me rappelle plus comment ils fonctionnent.

Carla est une sceptique pure et dure face à tout ce qu’elle ne peut pas mesurer ou expliquer ou résoudre avec les maths. Alors que moi, j’aimerais simplement que les cartes changent un peu d’attitude.

Les rumeurs sur ma famille ne manquent pas, à Burden Falls.
Apparemment, la malédiction est liée à la cascade, et à la terrible malchance qui semble nous coller à la peau - surtout depuis ce qui est arrivé à mes parents. Mais moi, je ne crois pas aux malédictions. Je suis convaincue que, chaque fois que les choses ont mal tourné pour moi, c'était la faute de Madoc Miller. Si je passais en revue l'histoire de ma famille, je pourrais sans doute mettre tous les épisodes merdiques sur le dos d'un Miller ou d'un autre. Chez eux, être de vrais connards est une longue tradition familiale.

Je regarde le torrent qui se déverse vingt mètres plus bas, dans le bassin bouillonnant. Si je reste là, ma peau va se couvrir de gouttelettes d’eau, comme si une créature froide et fantomatique me soufflait dans le cou. J’ai vu plus d’un visiteur se mettre à frissonner sur ce pont et devoir être écarté du bord.

On raconte que les sorcières de Red Road se réunissaient ici pour jeter des sorts, en agitant leurs cloches en cuivre au-dessus de l’eau pour tenir le mal à distance. Certaines personnes continuent d’y croire et suspendent des cloches aux branches des arbres qui surplombent la rivière, ou gravent le symbole du mauvais œil sur leurs troncs.

. Mais moi, je ne crois pas aux malédictions. Je suis convaincue que, chaque fois que les choses ont mal tourné pour moi, c’était la faute de Madoc Miller. Si je passais en revue l’histoire de ma famille, je pourrais sans doute mettre tous les épisodes merdiques sur le dos d’un Miller ou d’un autre. Chez eux, être de vrais connards est une longue tradition familiale.

J’ai illustré chaque carte à la main dans les tons chatoyants que Daphné adore, avec le symbole du mauvais œil dans chacun des quatre coins. Il se compose de cercles concentriques : la pupille noire, l’iris bleu, le cercle blanc et le contour bleu foncé. On dirait presque une cible ou un outil pour hypnotiser quelqu’un.

Le cri de la chouette m’est aussi familier que les craquements du plancher de mon ancienne maison, ou ces courants d’air glaciaux qui semblaient surgir de nulle part – ces petites choses qui font battre mon cœur un peu plus vite, mais qui n’ont rien de sinistre, en fait, même si ma mère déclarait les lieux hantés.

Personne ne répond, mais des voix étouffées me parviennent depuis l’escalier étroit, alors je monte à l’étage. Trois portes donnent sur le palier : une salle de bains, un grand placard (ou du moins je le suppose, vu qu’il n’y a pas de lit, rien qu’une pile de cartons contenant les vêtements de Carolyn), et…

C’est nul de partir comme ça. Je ne suis pas prête. Mais on n’a pas le choix, je le sais bien. Après la mort de mes parents, on s’est rendu compte que la santé financière de la distillerie familiale était très mauvaise. Oncle Ty et Carolyn ont fait de leur mieux pour la sauver, mais on a fini par devoir vendre la propriété.