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Critique de Chri


Le mysticisme totalisant de ce livre m'a presque terrassé. J'ai terminé l'empilement suivant de citations, qui montent crescendo dans l'angoisse, en me disant que ça servira au moins de cairn pour signaler le chemin scabreux. Il y pousse en effet une espèce de surhomme d'inspiration divine ou naturelle, doté d'une justesse intrinsèque qui confère aux impulsions le droit de se traduire dans des actions directes, et qui suggère aux autres l'obéissance.

« Les instincts de la fourmi sont sans intérêt en tant que tels, mais dès qu'une certaine relation peut être établie entre celle-ci et l'homme, l'humble tâcheronne se révèle un guide, un petit être au coeur puissant, dont toutes les habitudes, même cette découverte faite récemment qu'elle ne dort jamais, deviennent d'un coup sublimes »
« Qui saura deviner ce que le courage du pêcheur doit au rocher battu par la mer, combien la paix intérieure de l'homme s'inspire du ciel azuré ? »
« La science empirique est de nature à obscurcir la vue et, par la connaissance même des fonctions et des processus, capable de priver l'élève de la virile contemplation du tout. »
« Un quelconque doute concernant la permanence de ses lois (la nature) paralyserait les facultés de l'homme ».
« En un lieu privé, parmi des objets sordides, une action vraie ou héroïque semble immédiatement faire descendre le ciel sur elle pour en faire son temple et paraît transformer le soleil en flambeau. »

Bon, je ne pouvais pas terminer cette critique sans signaler la partie la plus gratinée. Ce livre manifeste un retour du sentiment religieux au plan mystique accompagné d'une déclaration d'amour à Dieu ou à la nature. Mais ici toute expérience est précédée d'une réalité absolue ou transcendante qui demeure dans la mystique chrétienne, comme dans la forme dogmatique de la religion qui est critiquée dans ce livre.
L'espèce d'homme décrite au-dessus est parfaitement adaptée à cette réalité transcendante. Ce surhomme surmoral continue à m'angoisser, et je n'ai pas été étonné d'apprendre au passage que les essais de Emerson faisaient partie des lectures préférées de Nietzsche. Mais contrairement au pêcheur qui fonde la réalité sur son expérience, le surhomme emporté par la fougue, les deux pieds dans le même sabot, risque fort de terminer dans les rochers. du moins s'il en réchappe, il remerciera humblement ses sauveteurs et il aura appris à ne pas écouter les voix venues de nulle part.
Quant au sens de l'engagement de l'auteur en faveur de l'environnement, j'ai trouvé intéressant de le rapprocher du sens de son engagement pour l'abolition de l'esclavage. La citation suivante dans son Journal en 1851 confirme l'ambivalence : « The absence of moral feeling in the white-man is the very calamity I deplore. […] The captivity of a thousand negroes is nothing to me. »
Alors imaginez maintenant ce que Emerson pense de la nature : « La nature n'est rien d'autre qu'un intermédiaire. Elle est faite pour servir. Elle accepte la domination de l'homme aussi humblement que l'âne sur lequel était juché le sauveur. »
La similitude avec les tweets de Donald Trump est frappante, comme si on assistait à une sorte de refoulement de l'enseignement chrétien de l'amour de son prochain.
Heureusement une autre conception de la nature émergeait à la même époque, lorsque Darwin exposait une théorie de l'évolution immanente au vivant plutôt que transcendante. Mais on peut se demander, depuis tout ce temps, ce qui a réellement changé dans le rapport de l'homme avec la nature.
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