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Critique de aa67


Déserter, chacun le fait à sa manière et pour des raisons qui lui sont propres.

Mathias Enard a su, une nouvelle fois, distiller les petites vies dans la grande histoire.
La lecture de « Déserter » ne m'est pas apparue plus aisée que celle de « La boussole », peut-être même plus tiraillante encore. Cela ne tenait pas au fait qu'il y racontait deux histoires totalement différentes. Ni qu'il avait laissé un flou total dans celle du déserteur quant à l'époque à laquelle elle se jouait, à l'endroit où il se trouvait, ou quelle guerre il avait fuit. Probablement une guerre parmi les plus récentes. Tout cela tout amateur de littérature s'en accommode, voire en joue lui aussi.

Le style de l'écriture change elle aussi selon que l'on se trouve dans l'une ou l'autre des histoires racontées. L'écriture des chapitres concernant le déserteur renoue légèrement avec celle de « Zone », ce livre sans points, sans chapitre, écrit tout d'une traite. Cette fois on est loin de cette extrême, mais il la réutilise petitement sous forme de phrases sans point, il va à la ligne, poursuit par une minuscule, puis refait de même un peu plus loin, pour finalement mettre un point à la fin de longues phrases regroupant plusieurs idées. Ça n'est pas désagréable (beaucoup moins fatiguant que dans « Zone »), ça donne une espèce de respiration arythmique, une longue inspire, une courte expire ou inversement. Bref un drôle de rythme respiratoire quand on essaie de le décoder. Peut-être que dans une de ses interviews, Mathias Enard a expliqué ce qu'il avait envie de faire, de créer.

L'histoire de Paul Heudeber nous est raconté une décennie après sa mort, lors d'un colloque qui commémore son nomes ses travaux et qui débute le 10 septembre 200. C'est d'ailleurs un de ses confrères, le mathématicien américain Linden Pawley qui révélera la clé du roman. Un grand nombre de personnages vont traverser son histoire.
Sa fille Irina nous raconte la vie du couple qu'il a formé avec Maja. Paul, mathématicien, communiste, antifasciste vivait à Berlin Est, de l'autre côté du mur, alors que Maja, elle aussi scientifique, vivait à l'Ouest et était active dans le SPD. Leur amour n'a pas été moins que fou. Leur passion a traversé les frontières et le temps. Une idée à donner ? celle de Maja qui écrit ceci à Paul : « Il y a maintenant un mois que je ne t'ai pas vue et la vie gèle ». de pareilles phrases se retrouvent régulièrement dans leur échange épistolaire, celui que leur fille décortique.
Paul a également laissé des écrits aussi bien mathématiques que littéraires lors de sa détention dans le Camp de Buchenwald. Pour Enard tout est prétexte pour parler de la grande histoire du XXe siècle.

Le déserteur quant à lui, il compte ses morts, n'en peut plus et largue les amarres de la guerre. Il ne voit qu'un endroit pour se sentir en sécurité, celui de la cabane de son père dans sa région natale, dans un décor montagneux. On vit sa fuite avec les armes gardées sur lui, puis une rencontre avec une personne aussi scabreuse que lui. En dire plus serait dommage.
Les images ne sont pas faciles pour le lecteur mais Enard a su les rendre supportables.

On est de plus en plus loin de ses livres faciles comme « Parle-leur de batailles, de rois et d'éléphants », - livre qui reste parmi mes oeuvres préférées - mais j'enchaine vite en rajoutant : quelle extraordinaire culture historique il nous transmet maintenant.

Mon bémol, celui qui m'est propre, c'est que, même en étant de formation scientifique, rien n'y a fait, je suis restée comme sourde à la compréhension des « mathématiques littéraires » dont Mathias Enard fait la description. Pas grave, j'aime la prose d'Enard, j'aime sa culture, j'aime ses émissions radiophoniques. Un jour peut-être, je le comprendrais encore mieux.

Citation :
Un extrait de lettre à Maja « Tu protégeais mes jours comme tu les protèges aujourd'hui, tu les adoucis même dans l'absence et Irina projette quelque chose de toi, une douceur, une consolation au passage du temps, un rayonnement qui provient de ton âme proche et lointaine. Tu es une maladie - ma passion à la maladie de l'infini, mon amour ne peut s'écrire autrement que par ton nom. Il n'y a pas d'autre façon de désigner l'amour, : te nommer. Reviens-moi vite. » Paul
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