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Critique de Charybde2


La beauté tragique d'un roman dur, plus ramifié qu'il n'y paraît d'abord.

Dans son deuxième roman, publié en 2005, Mathias Énard nous conviait à une brutale immersion au coeur de la passion, celle qui dévore un être de l'intérieur et le fait devenir si radical et si destructeur qu'il ne reste à l'objet de cette passion que la fuite... ou la mort.

Deux chirurgiens, en pleine crise de la canicule de l'été 2003 en région parisienne, sont livrés à leurs démons intimes : Youri, force de la nature, sombre dans un complexe alcoolisme qui désespère, sans pourtant la faire fuir, l'infirmière Joana dont il partage largement la vie, tandis qu'Ignacio, meilleur ami, marié à Aude - la psychologue de l'hôpital dont les commentaires du drame qui se noue, rapportés, auront vite le rôle d'un véritable choeur antique -, convoite lui-même Joana, dont l'échappée, pour "remonter l'Orénoque" à bord d'un vieux cargo aux curieuses errances géographiques, semble pour elle la seule issue possible... jusqu'aux terribles révélations finales.

Un roman d'une force tragique hors du commun, servi par une langue ramifiée qui annonce déjà celle de "Zone".

À noter une superbe adaptation au cinéma, qui transfigure véritablement ce roman ardu et beau, sous la direction de Marion Laine : "À coeur ouvert", sorti en août 2012, avec Juliette Binoche, Edgar Ramirez et Hippolyte Girardot.

"Assis sur ma chaise, je pensais il a raison, ce que l'on attend à présent des corps c'est la putréfaction en silence, l'oubli, et de l'âme la survie sur les rôles et les registres, les certificats et les papiers, les marbres, les images. L'embaumement n'est plus de mise, les cadavres doivent disparaître, ils sont confiés à des professionnels chargés de les dissimuler, responsables de leur entrepôt, de leur manutention, de leur stockage, de leur destruction dans la terre ou les flammes - entiers et morcelés, jeunes accidentés ou vieux rongés de maladies, il convient de les cacher ; plus de dépouilles charriées par le vent, les yeux cavés, la barbe pelée ; de cercueils ouverts, de morts à ciel ouvert, le regard fermé dans leur plus beau veston, leur robe noire, il n'y en a plus ; à présent enveloppés de chêne ou de sapin, éloignés sitôt l'agonie du regard des vivants, ils sont portés, poussés en hâte vers les coulisses, vers le sous-sol où l'on ne les croisera pas, vidés et lavés, évacués du monde qui n'aime plus les voir, ennuyé de ne savoir qu'en penser, se rassurant de photographies, de témoignages digitaux ou celluloïd, autant de défunts immatériels que l'heure éloigne de la chair et pousse vers l'armée de spectres dont nous emplissons nos armoires."
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