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Critique de Presence


Ce tome contient une histoire complète qui ne nécessite pas de connaissance préalable du personnage. Il comprend les 8 épisodes, initialement parus en 2015/2016, écrits par Garth Ennis, dessinés et encrés par Keith Burns, avec une mise en couleurs réalisé par Jason Wordie. Les couvertures principales ont été réalisées par Keith Burns, les couvertures variantes par Ian Kennedy, sauf celle du numéro 1 réalisée par Carlos Ezquerra. L'ouvrage commence par une introduction d'une page rédigée par Dave Hunt, revenant sur l'intérêt du personnage de Johnny Red. Il se termine avec une interview de 4 pages de David Hunt, menée par Garth Ennis lui-même, sur la genèse de la série originelle de Johnny Red.

En 2015, Tony Iverson se rend sur un petit aérodrome du Suffolk pour acheter la carcasse d'un avion de modèle Hawker Hurricane MKII, en piteux état, récupérée lors de travaux de terrassement en Allemagne de l'Ouest. Il porte le numéro d'identification P7089. le mécanicien lui confirme que cet avion bénéficiait d'un moteur de type Merlin 20, ce qui en fait bien un Mark II. Quelques mois plus tard, Tony Iverson se rend en Russie pour rencontrer un individu appelé Rodimitz qui dit savoir à qui a appartenu cet avion, et connaître son histoire. Arrivé sur place, il bénéficie de l'aide d'une guide qui se prénomme Lyudmila. Ils se rendent dans une HLM où ils rencontrent un homme assez âgé qui est prêt à leur raconter tout ce qu'ils voudront bien écouter. Il part d'un grand éclat de rire quand Iverson lui indique qu'il a acheté cette carcasse pour quatre virgule cinq millions de dollars. Rodimitz choisit de commencer son histoire avec la bataille de Stalingrad, 17 juillet 1942 au 2 février 1943. Il faisait partie d'une unité de pilotes basée dans la région, et sous le commandement officieux d'un individu se faisant appeler Johnny Red et ayant baptisé son escadrille Redburn.

Rodimitz leur raconte l'histoire surprenante d'un pilote anglais nommé Johnny Harris ayant été écarté du pilotage d'avion dans l'armée britannique suite à une infraction caractérisée à des ordres donnés par un supérieur. Il avait continué à servir sur un porte-avions. Suite à un concours de circonstances inattendues, Johnny Red avait trouvé son salut lors d'une attaque, en sautant dans un avion Hawker Hurricane MKII et n'avait pu que rallier la terre la plus proche, située sur le sol russe. Il était tombé sur l'escadrille de Rodimitz dont les pilotes étaient dans une situation périlleuse. Il avait réussi à les convaincre de voler des avions ce qui leur avait permis de rentrer à leur base. Johnny Red avait choisi de les accompagner à bord de son Hurricane. Une fois sur place dans la base russe, il avait participé à plusieurs missions et était devenu leur chef naturel du fait de ses compétences de stratège, et de sa propension à tous les ramener vivants, mission après mission. Si la police secrète communiste n'était pas dupe, elle fermait les yeux du fait des résultats réels. Tout avait changé en 1942 quand deux officiers de la NKVD (Babak et Safonov) étaient arrivés avec une mission devant être effectuée exclusivement par des soldats russes.

Il est peu probable qu'un lecteur tombe par hasard sur ce tome. Soit il connaît la bibliographie de Garth Ennis et il était à la recherche d'une nouvelle oeuvre de cet auteur, soit il a déjà entendu parler de Johnny Red. Dans les 2 cas, il sait qu'il va trouver un récit de guerre se déroulant pendant la seconde guerre mondiale, dans une unité d'aviation, avec des combats aériens. le personnage de Johnny Red a été créé en 1977, par Tom Tully & Joe Colquhoun (le dessinateur de la série Charley's war de Pat Mills). La dynamique de la série résidait effectivement dans la présence d'un pilote anglais volant à bord d'un Hurricane au sein d'une formation russe. Garth Ennis a préfacé les tomes de la réédition originale à commencer par Johnny Red: Falcons' First Flight. le lecteur qui a suivi la carrière de ce scénariste sait que les conflits militaires et les guerres font partie de ses thèmes de prédilection, et qu'il en intègre parfois un au sein d'une série au long court, qu'il a aussi écrit des séries ayant pour thème principal les guerres et les batailles, comme Battlefields (édité par Dynamite) et War Stories (d'abord publiée par Vertigo, puis repris par Avatar).

De fait, Garth Ennis se livre à une entreprise d'hommage à Johnny Red, accessible à tous les lecteurs. Il prend soin d'inscrire sa vie dans L Histoire, avec une année précise de déroulement du récit en 1942, des lieux identifiables, à commencer par Stalingrad, mais aussi avec le dispositif de l'histoire dans l'histoire. En effet le vétéran Rodimitz raconte ses souvenirs, le temps qu'il a passé à servir sous les ordres de Johnny Red. le lecteur familier de Garth Ennis sait qu'il ne plaisante pas avec la qualité de la reconstitution historique. Il vérifie lui-même que le dessinateur ne fait pas d'erreur ou de faute d'étourderie, que ce soit pour les modèles d'avion, les tenues militaires des différentes armées, les armes, les véhicules. En outre il peut compter sur les compétences de Keith Burns qui fait partie de la guilde anglaise des artistes de l'aviation. Il peut donc lire en toute confiance ce récit sur le plan de la reconstitution historique, y compris les grades utilisés, le rôle du NKVD (Commissariat du peuple aux Affaires intérieures), ou encore quant à l'existence du régiment de bombardier 588e NBAP composée exclusivement de femmes pilotes. Ennis les avait d'ailleurs déjà mises en scène dans Garth Ennis' Battlefields Volume 1: Night Witches avec Russ Braun.

Le scénariste ne se contente pas d'une reconstitution historique très réussie, il intègre également la composante aventure associée à Johnny Red. le premier épisode permet de découvrir le régiment à la tête duquel se trouve Johnny Red. Les personnages ne sont pas très étoffés sur le plan psychologique, mais ils se reconnaissent facilement grâce à une apparence un peu typée, que soit le massif Yakob, le très jeune Popovitch, la baderne qu'est le colonel Yaraslov, ou évidement la capitaine Nina Petrova, du 588e NBAP. Par la suite, le lecteur voit encore arriver les 2 officiers du NKVD, assez raides dans leur posture. Conformément à la bande dessinée originale, Ennis fait l'effort de donner une histoire personnelle à Johnny Harris, avec une date de naissance en 1921, et ce qui lui a valu d'être démis de ses fonctions de pilote dans l'armée britannique. Il va même jusqu'à le montrer en train d'apprendre du vocabulaire russe, et il gère l'incompréhension avec les soldats parlant allemand. Parmi les autres personnages, seule Nina Petrova a droit à la présentation de sa motivation, assez classique. L'intrigue s'avère consistante, emmenant le régiment de Johnny Red derrière les lignes ennemis, dans le territoire de l'Allemagne. le scénariste joue également avec le sentiment patriotique russe, qu'il distingue de celui anglais. Bien évidemment, il a intégré dans son scénario plusieurs batailles aériennes.

Keith Burns a donc la lourde tâche d'effectuer la reconstitution historique du point de vue visuel, mais aussi de mettre en scène les combats aériens. Il réalise des dessins de type réalistes, avec un détourage de format un râpeux. Il joue le jeu de se montrer d'un bon niveau descriptif, même si lors de quelques scènes de dialogue, il s'économise un peu sur les arrière-plans. Il joue sur le niveau de détails de ce qu'il représente, de très précis pour les avions, les armes et les uniformes, à des décors tracés à grands traits épais pour les baraquements ou les zones naturelles. Il gère avec efficacité la largeur de ses plans et leur distance, soit pour montrer que les personnages sont dans un milieu confiné pendant les scènes d'intérieur, soit au contraire en élargissant l'horizon lors des séquences de vol et de combats. le lecteur apprécie que chaque mise en scène soit taillée sur mesure à la nature de la séquence. L'encrage appuyé et pas lissé des dessins transcrit bien la dureté des conditions de vie de ces soldats, logés dans des conditions assez rudes (le chauffage n'est pas toujours suffisant), avec une nourriture rationnée et de piètre qualité, et une vie assez spartiate.

Bien évidemment, le lecteur attend avec impatience les séquences de combat aérien, tout en sachant qu'elles constituent un défi pour l'artiste, à la fois pour rendre compte de la profondeur de champ, du positionnement relatif des appareils, et de leurs déplacements relatifs. Il constate que Keith Burns sait représenter les différents modèles d'avion non seulement avec exactitude, mais aussi avec efficacité. L'artiste sait gérer l'espace en deux dimensions de ses cases pour montrer le positionnement relatif des appareils, avec une bonne profondeur de champ. Il résiste le plus souvent à la tentation de dramatiser les angles de vue pour se concentrer sur la narration, plutôt qu'augmenter les effets. Il se réserve le droit d'inclure une ou deux cases plus grandes par combat pour une vision mémorable. Par contre, il se révèle un peu moins à l'aise pour transcrire le mouvement des avions les uns par rapport aux autres. le lecteur a parfois des difficultés à suivre les figures et les manoeuvres. Par comparaison, Joe Colquhoun se montrait plus adroit dans ce type de séquence dans la série Charley's War.

Grâce aux dessins, le lecteur plonge donc dans une reconstitution consistante qui lui permet de se projeter aux côtés des personnages, pour ressentir à la fois leurs conditions de vie dans le camp, la tension lors de l'attente de décision des gradés du NKVD, l'arbitraire de leur survie lors des batailles aériennes. Keith Burns ajoute lui aussi des touches d'aventure, conformément au modèle de la série initiale, avec quelques moments de bravoure virile, mais sans systématisme. Garth Ennis fait preuve de retenue dans sa narration, réfrénant sa propension à l'humour énorme et gore. Il montre le prix à payer par Johnny Red, à la fois pour sa bravoure au combat, mais aussi pour la responsabilité des membres de son régiment. Si l'événement central de l'intrigue peut sembler trop appuyé et trop convenu, cela ne l'empêche pas d'évoquer la situation des soldats pris dans un système où ils n'ont d'autre choix que de combattre un ennemi. D'un côté, le lecteur pourrait être tenté de reprocher à l'auteur de ne pas personnaliser les soldats allemands qui forment une armée d'un bloc, un ennemi sans visage à abattre. de l'autre, il met plutôt en avant la volonté des soldats russes de résister à un envahisseur, même s'ils n'entretiennent pas beaucoup d'illusion sur le degré d'implication de leurs dirigeants au plus haut niveau, et sur le fait qu'ils ne sont que de la chair à canon. Ennis ne glorifie pas la guerre, et encore moins les modalités décisionnelles qui y président, rappelant qu'il ne s'agit que d'êtres humains faillibles et susceptibles de se tromper, à tous les échelons.

Garth Ennis & Keith Burns rendent un hommage ému à une ancienne bande dessinée britannique réalisée par Tom Tully & Joe Colquhoun, avec honnêteté et talent. Ils en conservent quelques éléments romanesques, que ce soit dans l'intrigue, ou dans le comportement de certains personnages. Dans le même temps, ils font oeuvre d'une solide reconstitution historique, et rendent les honneurs au courage d'individus qui ont donné leur vie pour la patrie, pour leurs concitoyens, sans pour autant réaliser une apologie de la guerre.
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