Il ne faut pas te faire du mauvais sang comme ça. Les choses sont comme elles sont, ma fille. On s'épuise à essayer de les changer. Et on est déçu, parce que tout se passe comme cela se passe et tu ne peux rien y faire. Rien.
C'est parce que je m'occupe de tout cela qu'il peut partir. C'est parce que j'en suis capable qu'il peut revenir.
Tu ne peux rien y changer , dit sa mère. Ils restent des hommes, pas vrai ? Ils veulent partir.
Quand on vit avec la musique, on a une belle vie. Même si elle est courte.
Ils laissèrent la lampe allumée. Il fallait se voir, s'imprégner de la forme des épaules et des flancs, observer la couleur de la peau, des cheveux. Les yeux. Mon corps se souviendra de lui, se dit-elle, même quand je l'aurai moi-même oublié, mes muscles et mes os se rappelleront comment il était. Sa chaleur, son poids,sa main abîmée sur ma peau.
Elle était consciente de ce qui se passait, elle était entièrement présente, tout en faisant l'inventaire de son futur manque.
"Je veux tendre un filet de voies navigables sur toute la terre pour qu'il n'existe plus de régions inconnues. Je dois naviguer parce que le monde est là-bas."
Il fit un geste vague en direction du fleuve. Le crépuscule tombait et le gel semblait s'intensifier. Une branche se cassa; du ciel d'un gris de plomb, de petits cristaux de neige scintillants commencèrent à tomber.
"Voilà Elizabeth. Je ne peux pas l'expliquer mieux que ça. Cela n'a rien à voir avec toi. Tu es formidable, la meilleure femme que j'aurais pu choisir. Ce n'est pas que je veuille m'éloigner de toi, je préférerais rester toujours auprès de toi, m'asseoir avec toi à table, marcher à côté de toi. Mais la mer est là. Je ne peux pas m'en empêcher. Pas à cause des honneurs, pas parce que le roi le demande, mais parce que c'est ma destinée."
Les flocons de neige devinrent plus lourds et plus gros. Ils tombaient en voltigeant sur leur tête, leurs épaules et leurs cuisses. La nuit était tombée.
"Il faut que tu comprennes. Je n'agis pas contre toi. Tu n'y es pour rien. Il y a quelque chose en moi que je ne peux désavouer. Je le sens dès que je traverse le passerelle. Quand je suis sur le pont et que je porte mon regard au loin sur la mer, quand je sens le bateau bouger sous moi et que j'entends les haubans cliqueter contre le mât, je me transforme. A ce moment-là, je deviens moi-même."
Dans le halo d'un lointain réverbère les flocons dansaient sans bruit en tout sens. Le bonnet d'Elizabeth s'alourdit sous la neige. Un amas glacial glissa le long de son écharpe dans son cou. Elle ne bougea pas.
Ce matin, mon domestique est venu me raser. Quand il a eu terminé, il m’a montré le résultat. Je voyais ton visage dans le miroir. Tu es une partie de moi. C’est ainsi.
Hugh
"Il se mettait dans des situations que d'autres auraient sans doute préféré éviter. Sa curiosité était plus grande que sa prudence. On peut appeler cela du courage. Ou de la confiance dans le progrès."
Entre l'absence et le retour, il existait une zone intermédiaire. Elle s'y trouvait à présent.
Elle n’avait jamais vraiment pu partager l’amour de James pour la mer ; quand elle essayait d’y penser, elle redoutait la somptuosité et la masse d’une étendue inconcevable de cette eau, à l’échelle du monde. Pas de balises, pas de routes, pas de délimitations. Pour James, chaque partie du monde était dans l’eau et, pour elle, toute eau était liée à la terre.