Citations sur Quatuor (55)
J'ai passé mes années de conservatoire dans un état permanent d'euphorie, de rêve. Musique de chambre, orchestre, concerts de classe...Je me rendais bien compte qu'au-dehors il y avait un autre monde, un monde de problèmes, de devoirs et de responsabilités, mais je réussissais à ne pas y penser et à faire comme si ma formation musicale avait lieu entre les murs d'un royaume céleste, à la manière d'un enfant qui vit pendant quelque temps une existence imaginaire. (p. 35)
Sortir le violoncelle. Il sent la douleur lui transper- cer le genou à la seule idée de détacher les fermoirs, surtout celui du bas, qui l’oblige à s’agenouiller ; sou- lever l’instrument, manœuvrer le précieux objet en bois de façon que le chevalet ne heurte pas le cou- vercle de l’étui – et il faut encore attraper l’archet, le tendre et tâcher de se loger dans le fauteuil, avec le violoncelle. En n, au cas où il voudrait aller plus loin que les exercices de technique et les gammes : prendre une partition, rapprocher le pupitre, cher- cher ses lunettes. Il ferme les yeux et passe mentale- ment l’archet sur chacune des quatre cordes, l’une après l’autre, sans s’agiter.
Les parents, songe Caroline. Les gens qui viennent de perdre un enfant ont un air de désespoir brutal qui fait fuir tout le monde. Il faudrait les enfermer jusqu'à ce que les angles se soient un peu arrondis.ça ne se fait pas d'exposer les autres à ce spectacle nocif. (p. 148)
Créer. Réparer. Des objets tangibles, qui restent. Qui se voient ou qui s'entendent. Comment peut-on trouver de la satisfaction à manager quelque chose ? ça n'a quand même aucun rapport avec ce que fait un véritable artisan ? J'ai du mal à me retrouver là-dedans. (p. 87)
Pourquoi n'accorde-t-on plus d'attention à la musique ? Parce qu'elle est dangereuse ? Caroline se souvient d'une scène de film sur un condamné à mort. La femme qui doit accompagner le détenu jusqu'à la salle d'exécution demande au directeur de la prison si elle a le droit de chanter une chanson pendant ce court trajet . "Non, répond-il. La musique, ça donne des émotions. On n'a pas besoin de ça ici." (p. 19)
C'est leur pagaille que je voudrais, leur pagaille et leurs mauvaises odeurs de gamins, se dit-elle. Le désordre, c'est un signe de vie, un présage de rangement, l'annonce de projets et d'entreprises à venir.
On se comprenait tous les quatre sans avoir besoin de parler. C'est bête, mais je me suis sentie entourée, intégrée, soutenue. Et je n'avais pas honte. Peut-être parce qu'on était nous aussi en train de jouer, d'apporter quelque chose à l'ensemble ? Dans ce cas, on a moins de raisons de se sentir nuls. "
(...) Ce n'est jamais bien , pense-t-il. Ni quand on parle, ni quand on se tait. Mais après tout, c'est comme ça dans la vie, on ne fait vraiment jamais bien. (p. 157)
"Comment définir un son ? "
Jochem réfléchit.
"On emprunte des mots qui existent déjà: chaud, pointu, riche. Ou bien on fait des comparaisons. (...)
On est tellement obsédé par le verbe qu'on veut tout nommer, tout expliquer. Le son est indéfinissable. Il faut simplement l'entendre" (p. 159)
Les autres font de leur mieux pour nous aider. ça ne sert à rien de se fâcher. C'est juste que j'ai du mal à supporter toutes ces conneries sur le deuil, ça me donne l'impression qu'il faut se dépêcher, comme si c'était juste un boulot qu'il fallait avoir terminé au bout d'un certain temps. Mais ça ne marche pas comme ça. (p. 191)
Comment a-t-on fait pour se désintéresser autant de la musique ? Elle-même ne peut se passer de musique "classique". Si elle ne pouvait pas pratiquer, elle serait perdue, c'est sûr. Dans sa tête, il y a toujours un thème ou une ligne d'accords, même quand elle est au travail. Les mots la fatiguent, la musique lui apporte le repos. (p. 19)