Je prenais ma réponse pour de la franchise, or c’était de la cruauté, de la pure grossièreté. Je venais de briser d’un coup sec de faucille sa sensibilité aussi élégante et précieuse qu’une orchidée.[…] J’étais habituée à combattre, à souffrir, à trimer pour obtenir tout ce que la vie me concédait, et m’étais si bien endurcie que je ne savais plus reconnaitre la valeur des cadeaux qu’elle me faisait. J’avais le cœur calleux.
Son esprit n’était pas induit en confusion par des concepts tels que la psychanalyse, la névrose, l’existentialisme, et il savait ressentir cette chose à vrai dire élémentaire qu’est la douleur de l’autre. Il savait être triste pour l’autre. Il y avait en lui une sensibilité sans équivalent dans le monde hypocrite des gens trop instruits.
L’Homme coquillage m’avait appris le chant de la vie.
Dans les ruines de l'hôtel sous les cocotiers, parmi les buissons, sur la jetée, à l'heure où le ciel des tropiques s'embrase au couchant, je ne l'avais jamais autorisé à me toucher pour de vrai, mais chaque nuit, je m'offrais toute entière à lui dans mes rêves, corps et âme sans réserve. Il promenait sur moi tantôt ses mains puissantes et sorcières - ses doigts devaient être calleux - tantôt un couteau aiguisé ; je m'ouvrais comme une moule, tremblante, sous le feu de son regard immobile et profond.
J'embrassais les cicatrices sur son torse, je respirais l'odeur forte de ses aisselles, j'aspirais l'obscurité de sa peau très noire.
Ah si je pouvais revenir à cette ultime nuit, au balcon face à l'océan !
J'arriverais cette fois à le toucher. A l'enlacer, à ne plus le lâcher.
L'Homme Coquillage m'avait insufflé la vie, de son propre souffle il m'avait créée, puis il était parti en m'abandonnant à mon sort, seule sur cette planète de glace battue par les blizzards de la désolation.
Ses yeux s'adoucirent, ils étaient remplis d'amour.
Il me cachait tout au fond de ses prunelles, comme on tient un oiseau dans le creux de ses mains.
Le ciel s'enflamma une dernière fois, les nuages flambèrent puis s'éteignirent parmi les braises, le monde devint une immense coquille bleu marine.
Enfin, le nuage de nuit arriva, et il avala l'île.
Car enfin, quand il s'agit de sexe, nous autres femmes sommes capables de comportements absurdes, dont la cause est à chercher dans la complexité des rapports que nous entretenons avec notre propre corps.
Il était devenu sans le savoir le centre de gravité, l'oeil du cyclone autour duquel tourbillonnait mon existence. Et les moments que nous passions ensemble étaient des cristaux sertis de foudre bleue.
Nous faisions l'amour en dansant, la nudité en moins, plus fortement et plus passionnément encore que si nous avions vraiment fait l'amour.