Il hurle. Ses cris rebondissent follement entre les parois de sa prison si étroite, alors que son esprit vacille au bord d'un vide cosmique empli de néant.
Oui, elle avait désespérément besoin de travail, de faire quelque chose de sa vie, de sortir de la désespérante monotonie du chômage, de cette gangue d'ennui, d'échapper à l'ostracisme social qui en découlait, d'une cruauté telle qu'elle n'aurait jamais pu l'imaginer avant d'y être confrontée.
QUELQUE CHOSE arrive. Quelque chose qui fouisse, fouisse, gratte inlassablement la terre.
Il ignore quoi, mais son instinct chauffé à blanc lui dit qu’il vaut mieux ne jamais le savoir.
Alors même qu’il entend les chocs sourds annonçant sa salvation, ce petit grattement continue à résonner à ses oreilles ; ténu, sournois.
Et, même lorsqu’il arrivera enfin à se convaincre qu’il est en sécurité, qu’il a réussi, ce bruit n’en finira jamais de le hanter.
Un tout, tout petit grattement, faible et entêtant…
Scritch, scriiiitch…
Ce ressentiment l’avait marquée dans son âme et sa chair. Et il ne l’avait jamais quittée. Elle savait qu’elle n’était pas la seule, qu’ils étaient une « génération sacrifiée », comme l’expliquaient doctement dans les gazettes ou sur les plateaux TV ceux qui étaient d’une autre génération non sacrifiée — avec toujours le message sous-jacent que ces « jeunes » (catégorie à part, semble-t-il,) n’étaient que des branques et n’avaient que ce qu’ils méritaient.
Les vieilles excuses du violeur, avait-elle pensé plus d’une fois, celles qui déculpabilisent les hypocrites : « elle l’a bien cherché », « ça lui pendait au nez », etc., etc.
Après avoir été exclue pendant deux longues années, elle se réinsérait plutôt facilement.
Deux années à traîner entre ses quatre murs, son horizon rétréci au supermarché du coin, à la bibliothèque puis, à nouveau les quatre murs. Elle osait à peine croiser le regard des gens, comme si son stigmate social se lisait sur sa figure. Il y avait cette gadoue qui engluait son cerveau, faite d’inquiétude, de dégoût et de colère cristallisée ; cet engourdissement à force de passer chaque journée à attendre un courrier ou un coup de fil lui proposant un poste, un stage, n’importe quoi — qui ne venait pas. Sous l’effet de cette gangue comprimant son esprit, ses pensées devenaient lentes, hasardeuses, la rendant gourde, maladroite, amorphe, déconnectée et la poussant à traîner dans son lit le matin, redoutant de se lever pour entamer une nouvelle journée inutile.