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Critique de Woland


ISBN : 978262013691

Extraits

Les rois - et pas seulement les rois de France - ont toujours eu des favorites. Les reines, des favoris - Cf. la Grande Catherine, par exemple. Mais il arrive que, de temps en temps, l'Historien se retrouve, plutôt perplexe, face à un phénomène pour le moins délicat à traiter : celui des monarques ayant eu un ou plusieurs favoris, avec tout ce que cela implique de relations sexuelles.

Dans cette galerie où l'on se rappellera notamment le très controversé Edward II (époux d'Elisabeth de France, elle-même fille de Philippe IV le Bel) qui mourut, le 21 septembre 1327, dans des circonstances douteuses, sinon atroces, au château de Berkeley, mais dont l'homosexualité était notoire, notre Louis XIII national se définit une fois de plus comme une énigme vivante car, s'il semble n'avoir jamais trompé physiquement son épouse, Anne d'Autriche, avec une femme, il eut cependant à la fois des favorites (Melle de Hautefort, marquise de Schomberg, et Melle de la Fayette, qui prit le voile) et de multiples favoris, dont le premier fut Charles, marquis d'Albert, puis duc de Luynes, qui finit d'ailleurs pair de France et Connétable du Royaume.

S'il semble bien que Louis ait recherché auprès de certains hommes avant tout le reflet d'un père trop tôt disparu et s'il n'est pas question de mettre en doute l'intégrité de l'"esclavage" qui l'unit par exemple au cardinal-duc de Richelieu, on n'a pas fini, par contre, de passer et repasser à la loupe la relation qu'il entretint avec le jeune, beau et élégant Henri Coiffier de Ruzé d'Effiat, mieux connu sous son titre et son nom de marquis de Cinq-Mars.

Ce fut Richelieu, lequel était un ami proche de son père, qui plaça le jeune Henri - il avait alors dix-neuf ans - auprès de Louis XIII. A cette époque, le Cardinal souhaitait éradiquer l'influence de Marie de Hautefort auprès du monarque et pensait - pour quelles raisons, il semble avoir dédaigné de nous les indiquer dans ses mémoires - que la présence constante du séduisant jeune homme parmi les familiers du souverain constituait un bon moyen de parvenir à ses fins. de fait, si le souverain ne le remarqua pas immédiatement (ses disputes avec Melle de Hautefort, qu'il surnommait dans ses lettres "la créature", le distrayaient tristement peut-être mais énormément), Henri se vit bientôt nommé Grand-Maître de la Garde-Robe. (Quand il fut exécuté, le 12 septembre 1642, il était parvenu au titre de Grand Ecuyer, ce qui explique pourquoi on le nomme si souvent "Monsieur le Grand" autant dans les textes de l'époque que de nos jours.)

Mais entre s'occuper des habits du Roi et être son amant, il y a tout de même un gouffre, ne manquera-t-on pas de remarquer. C'est tout-à-fait exact et si, longtemps, les avis sur la question furent partagés, Tallemant des Réaux, dans ses "Historiettes" que l'on prend aujourd'hui beaucoup plus au sérieux, rapporte entre autres une scène où Louis attendait Henri ... dans son lit. (Et il est clair qu'Erlanger, réhabilitant la mémoire de Tallemant, abonde dans le sens de celui que l'on considéra si longtemps comme une simple "concierge", malveillante qui plus est.) de fait, Louis XIII (dont l'"impuissance" tient du fantasme puisque, outre le futur Louis XIV et son frère, Philippe, futur duc d'Orléans, il trouva tout de même l'occasion de faire à son épouse trois enfants, lesquels, malheureusement, perdirent leur vie déjà si fragile dans des fausses-couches) ne pouvait littéralement plus se passer de celui qu'il fallait bien nommer désormais son "favori." La Cour ne s'y trompait pas, d'ailleurs. N'était-ce pas là "le" signe par excellence de la Faveur ?

Le problème, c'est que Cinq-Mars, jeune et en bonne santé, avait de son côté des maîtresses à la ville, dont la célèbre Marion Delorme, et que, gai, joyeux compagnon et aimant un peu trop faire la fête, il finit assez vite par se lasser de la passion de Louis XIII. Physiquement, peut-être - qui peut l'affirmer avec certitude ? Mais mentalement et moralement, la chose ne fait aucun doute. le Roi était bien entendu plus âgé que d'Effiat mais, surtout, c'était une nature mélancolique et affaiblie par la maladie, dont les lettres à Richelieu regorgent non seulement de raisonnements hautement politiques mais aussi de lamentations et de regrets sur les "éloignements" et les "crises" que connaissaient ses amours - avec les dames comme avec Cinq-Mars. On ne saurait compter le nombre de réponses du Cardinal pour arrondir les angles et encore moins le nombre de "pactes", écrits également, mais signés tant par Louis que par Henri et rédigés par le Cardinal, tous destinés à ramener la "bonne entente" entre les deux amants (platoniques ou pas).

Cela alla ainsi quelque temps, cahin-caha. D'autant que Cinq-Mars était ambitieux. On passera sur divers aléas, diverses chipoteries entre les deux hommes, avec le Cardinal (fortement impatienté mais jouant de sa diplomatie innée) au milieu. Philippe Erlanger les décrit avec réalisme mais aussi avec humour et fait réapparaître à nos yeux, au gré de son récit, l'une des constantes qui marquèrent le règne de Louis XIII : les complots fomentés contre lui par sa mère, par son frère, par son épouse et par divers autres qui préfiguraient les Frondeurs de la Minorité de Louis XIV.

Vint, malheureusement pour Cinq-Mars, le jour où lui aussi se crut fin prêt pour, avec la complicité de deux amis et sous la supervision de Gaston d'Orléans (qui, rappelons-le, avait une propension, étonnante pour le fils d'Henri IV, à trahir tous ceux qu'il avait mis dans le bain pour son service personnel) et d'Anne d'Autriche, mettre un point final à l'étincelante carrière du Cardinal. Lettres dangereuses, promesses encore plus périlleuses furent échangées de part et d'autre. Gaston fit serment de ne pas trahir le secret du complot et, de fait, il n'eut pas le besoin de le faire car, selon Erlanger, il semble bien que ce fût la Reine qui, maintenant pourvue de deux fils et comprenant enfin le danger qu'elle courait en cas de régence, livra tout ce beau petit monde à Richelieu.

Or, conspirer contre Richelieu, c'était conspirer contre le Roi - contre la France.

La suite appartient à L Histoire : les têtes du fidèle de Thou, ami proche de Cinq-Mars, et de Cinq-Mars lui-mêmes, tombèrent sur le billot. Ajoutons que le bourreau se montra d'une telle maladresse qu'il faillit être mis en pièces par la foule, laquelle, venue assister à deux exécutions, eut droit à une boucherie en deux temps. Je vous épargne les détails mais l'on notera que les deux hommes moururent avec panache et dignité. En ce temps-là, on savait vivre ... mais aussi mourir. Surtout quand noblesse obligeait.

Cette fiche ne saurait rendre avec la justesse nécessaire la profondeur et l'habileté de l'ouvrage que Philippe Erlanger a consacré à Henri d'Effiat, marquis de Cinq-Mars. Si l'image qu'ont donnée les Romantiques de ce personnage qui vécut si follement, complota sans grande dignité mais sut mourir en gentilhomme, ne vous satisfait pas ; si vous n'avez jamais entendu parler de lui ou si vous ne voyez en lui qu'un simple ambitieux, qui se fit homosexuel pour mieux servir ses intérêts personnels, alors, n'hésitez pas et lisez "Cinq-Mars et La Passion ou La Fatalité, de Philippe Erlanger, grand historien et aussi historien à contre-courant à son époque qui tenta plus d'une fois d'éclaircir la personnalité de figures historiques, plus ou moins malmenées par la légende que, souvent d'ailleurs sans se rendre compte qu'elle nuirait à leur mémoire plus qu'elle ne la servirait, elles se créèrent de leur vivant. ;o)
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