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Critique de Brooklyn_by_the_sea


"Avec le temps, on oublie le visage et l'on oublie la voix" chantait Léo Ferré.
Et le temps, il en est question dans cet ouvrage, où Annie Ernaux décrit une douzaine de photos où elle apparaît à différentes époques de sa vie, dressant peu à peu le portrait d'une femme et d'un écrivain, mais établissant aussi une radioscopie de la France contemporaine. Et c'est fascinant.

Lire Annie Ernaux place toujours le lecteur dans une position de voyeur, même si la vie qu'elle raconte -la sienne- a une résonance universelle. En parlant d'elle, elle parle de toutes les femmes, de leurs élans et de leurs contraintes. Mais bien que narré d'un point de vue féminin, son récit ne s'adresse pas qu'aux femmes, et sans sombrer dans un féminisme virulent, il souligne juste la complication d'être une femme (lecteurs masculins, soyez donc les bienvenus !).
Toutefois, il ne s'agit pas non plus d'une véritable autobiographie -d'ailleurs, Annie Ernaux n'utilise jamais le "je", préférant le "elle" ou le "nous". C'est plutôt une étude sociologique de la France de 1941 à 2006, dans laquelle elle s'inscrit en personnage principal. Au fil des années, et notamment autour des repas de fête en famille, on perçoit l'évolution de la société française. J'ai beaucoup aimé cette façon de chroniquer 65 ans de notre Histoire, de l'après-guerre à l'élection de Sarkozy, avec une multitude de repères politiques, culturels, technologiques et publicitaires. J'ai beaucoup apprécié son analyse de notre rapport au progrès et à la consommation.
Mais ce livre est aussi, et surtout, une réflexion sur le temps qui passe et qui emporte tout, jusqu'au souvenir des souvenirs, qui pose la question de ce qui restera de nous après notre passage sur cette planète, et qui interroge sur la façon d'appréhender le temps qui nous reste. Ce n'est pas la partie la plus gaie de cet ouvrage.
Enfin, l'écriture est toujours "plate" et "froide", mais elle se prête parfaitement bien à la distanciation qu'Annie Ernaux souhaite instaurer avec ce qu'elle relate. Chaque mot est réfléchi et pesé avec précision, mais ça ne m'a pas empêchée d'être émue lorsque l'auteur évoque son chat.

J'ai donc beaucoup aimé cet ouvrage inclassable, court mais dense, qui ne peut laisser indifférent. J'ai aimé cette mise à nu, cet autoportrait en femme seule et forte, avec en toile de fond un monde qui tourne de plus en plus vite.
Alors, "avec le temps, on n'aime plus" ? Pas toujours, et surtout pas lorsque l'on écrit un témoignage aussi intelligent sur une tranche d'Histoire de France ; et je me sens prête à admirer et aimer Annie Ernaux pendant des années encore.
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