L'urgence climatique

En septembre 2021, The Lancet publiait les résultats d'une enquête sur la jeunesse mondiale – 10 000 jeunes de 16 à 25 ans de dix pays, dont l'Inde, le Brésil, le Nigeria et les Philippines – révélant un fond de désespoir probablement jamais connu dans l'histoire de notre espèce baroque. Trois quarts de la jeunesse mondiale se déclarent en effet « effrayés » par l'avenir – en pointant nommément les enjeux écologiques et en premier lieu climatiques : 39% hésitent à procréer, 56% redoutent la disparition du genre humain. Une révélation choc tant par son universalisme géographique que par son extension à une classe d'âge, alors qu'on avait plutôt tendance à penser, notamment en Europe, que la conscience des enjeux écologiques diminuait avec le niveau de formation, à l'instar des mobilisations climatiques, ce qui semble également le cas en Suisse. A quoi les chefs d'État confondus répondent par l'avion à hydrogène, les réacteurs nucléaires SMR, les routes de la soie, sur fond de déni climatique effectif massif, et d'attachement pathétique à la platitude consumériste des classes moyennes mondiales adultes, au progrès technologique salvateur, quand ce n'est à l'escapisme martien. Dérisoire et doublement désespérant.
(…)
Nous ne sommes pas condamnés au désespoir climatique, ni au plat cynisme des élites au pouvoir, quand bien même nous n'échapperons plus à la dégradation écologique des conditions de vie sur Terre. Il est urgent d'appuyer de toutes nos forces l'élan réformateur de la jeunesse dont ces pages témoignent.

(Dominique Bourg)

Puisque la finitude inéluctable de chaque individu est un élément constitutif de notre être (Martin Heidegger), la disparition de notre espèce à court terme plutôt qu’à très long terme est-elle tragique ? Si ce n’était les indicibles souffrances pour les corps et les esprits que cela entraînerait, sans doute pas ; mais précisément, il est fort improbable que ces souffrances puissent alors être évitées. Et c'est cela qui donne son sens à notre combat pour l'humanité.

Nous en avons les outils: depuis des décennies, les climatologues et les biologistes affinent des constats durs mais clairs, expliquent les objectifs à atteindre, alors que des forces politiques réclament depuis non moins longtemps les mesures de mise en œuvre. Edgar Morin, dans son ouvrage majeur, « Introduction à la pensée complexe » (Paris, Seuil, 1990), nous donne les moyens de penser de manière systémique la tâche difficile devant laquelle nous nous trouvons ; la dialogie (mieux que la traditionnelle dialectique) nous permet de vivre les contradictions irréductibles et l'absence de savoir scientifique total, de ne pas laisser subsister l'angoisse (à ne pas confondre avec l'utile peur animale du danger), mais d'en sortir avec courage.

Le courage consiste à ne pas se résigner, mais à lutter même en étant mû par un espoir ténu. On songe ici à Nietzsche et à Gramsci : le pessimisme intellectuel est une vertu, celui de l'action une paresse, que la volonté permettra de surmonter.

(Luc Recordon)