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Critique de Musa_aka_Cthulie


Une dizaine d'années avant Les Troyennes, Euripide s'était déjà intéressé au sort des captives des Grecs après la chute de Troie avec les pièces Andromaque, puis Hécube. Comme l'indique bien le titre de cette dernière, ici Hécube, la reine déchue, occupe quasiment toute la scène, ce qui différencie cette tragédie de la composition chorale des Troyennes, où Euripide donnera bien davantage la parole à l'ensemble des captives, qui en fait sa spécificité.


La forme est presque surprenante. Certes, Euripide a fréquemment utilisé des retournements de situation. Mais pour le coup, il semble que la tragédie d'Hécube comporte deux parties plus ou moins distinctes. La première est consacrée aux deux terribles nouvelles qu'Hécube va devoir supporter : d'une part la mort de Polydore, son plus jeune fils, envoyé par Priam chez le roi thrace Polymestor afin de le protéger de la guerre ; or Polymestor, ayant jugé bon de ne pas suivre les règles de l'hospitalité, a fait tuer Polydore, jeté son cadavre à la mer et s'est emparé du trésor qu'il possédait. D'autre part, Hécube va apprendre que que le sacrifice de Polyxène, sa plus jeune fille, est réclamé par le spectre d'Achille (petit aparté : c'est Néoptolème le fils d'Achille, qui va égorger Polyxène, ce qui le rend tout de suite moins sympa que dans le Philoctète de Sophocle) . Les supplications d'Hécube auprès d'Ulysse n'auront aucun effet, on s'en doute. Cette première partie de la pièce va donc se concentrer sur les lamentations d'Hécube, appuyée par le choeur, et largement scandées et répétées.


À noter d'ailleurs qu'Euripide n'utilise pas les mêmes situations dans Hécube et Les Troyennes : dans la seconde, Hécube ne sait pas encore que Polyxène est déjà morte et il n'est pas question de Polydore ; dans la première, elle apprend le sort réservé à sa fille de la bouche des Grecs. S'il n'y a plus d'avenir possible dans la seconde pièce, la première met au contraire en scène une vieille femme accablée par le sort mais qui, d'abord, espère encore que son dernier fils est vivant, puis, cet espoir éteint, se raccroche en tout dernier lieu à une chimère : l'annulation du sacrifice de Polyxène. C'est donc une Hécube toujours accablée mais qui donne une image d'autant plus pitoyable qu'elle lutte inutilement contre le sort qui l'a déjà frappée, tentant de se trouver une dernière raison de vivre.


Une dernière raison de vivre, elle va finalement, contre toute attente, la trouver. La seconde partie va voir Hécube se confronter à Agamemnon, qui va, sinon l'appuyer, du moins la laisser préparer sa vengeance contre Polymestor. Et la vieille Hécube ne va pas faire dans la dentelle, gagnant sans difficulté la complicité de toutes les captives troyennes. Vengeance individuelle, mais vengeance collective, donc, et des plus sanglantes. On sera peut-être étonné par le rôle que joue ici Agamemnon, habituellement peu sympathique, et qui, malgré son statut de chef des Achéens, qui a traîné Cassandre dans son lit et qui ne voit pas d'objection au sacrifice de Polyxène, montre une compassion non feinte pour le sort d'Hécube, la laisse se venger, et, mieux, va faire office d'arbitre entre elle et Polymestor - au détriment de ce dernier.


Je l'avoue volontiers : c'est la vengeance d'Hécube qui m'a intéressée bien plus que le reste. Avec les autres captives toutes enfermées dans la même tente, elle prépare une surprise de taille pour Polymestor et ses fils - bah oui, on va pas se contenter d'une moitié de vengeance. Je ne dévoilerai pas le résultat, cela dit il est bien cracra. Bien. Mais outre que l'aspect sanglant de la chose met un peu de sel dans la tragédie et qu'un bon complot se révèle un ressort dramatique efficace, l'utilisation de l'eccyclème - cette plate-forme qui sort de la skene pour faire découvrir aux spectateurs les horreurs qu'ils ont dû imaginer grâce aux cris poussés par les protagonistes et le choeur - est une réussite, même à la lecture ; donc j'imagine sans mal la tuerie que ça devait être sur scène. On terminera sur note amère : une prédiction lugubre concernant Hécube et Agamemnon.


J'ai ressenti un effet quelque peu répétitif dans les lamentations renouvelées du choeur et d'Hécube concernant ses malheurs, que j'ai trouvées un peu longues. Il faut dire que j'avais lu Les Troyennes juste avant Hécube, et que l'effet de redondance en a sans doute été accentué. En revanche, la vengeance d'Hécube, je l'ai dit, vaut le détour : il s'agit là d'une très belle réussite dramaturgique.



Challenge Théâtre 2018-2019
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