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Critique de PatriceG


Europe consacre son N° 67 du 15 juillet 1928 à tolstoï à la faveur de l' anniversaire de sa naissance il y a un siècle
Parmi les chroniqueurs, on retrouve Stefan Zweig, Romain Rolland, Paul Birukov, Alain, Jean Prévost .. Que du beau monde !

Allons-y pour Alain notre professeur philosophe à qui la beauté d'Anna Karénine n'a pas échappé :
(..) Je comprends que la tragique aventure d'Anna n'était pas possible en ce monde vanné et piétiné (par opposition à Natacha). le tragique était alors d'autre sorte, et le destin arrivait du dehors. Mais quel monde bien réglé au contraire que le monde où se meurent Vronski, Karénine, Lévine ! Nature leur laisse du champ. Ils ont le choix. Ils ne cessent pas de faire l'événement. Il se peut que cette vue plaise moins, parce qu'elle ramène l'attention sur ceci que chacun fait son propre sort. Quand je dis que cette vue plaît moins, je n'entends pas que le roman plaise moins. Il n'y a que la critique qui approuve ou blâme en lisant ; le lecteur se trouve placé à un point de pur spectacle et d'indifférence ; telle est la puissance sur lui des grandes oeuvres ; et c'est à cela même qu'il reconnaît les grandes oeuvres ; il n'y a plus ici le mauvais et le bon, l'intéressant et l'ennuyeux ; mais tout participe à l'existence, comme dans un monde. Personne ne demande pour quoi Karénine a les oreilles pointues. Il est ainsi.

Ce secret du génie je n'espère pas de le comprendre. Toutefois les conditions négatives apparaissent bien dans les romans médiocres, par ceci que les projets et les sentiments des personnages ne sont pas tissés avec les necessités cosmiques et politiques ; on ne voit pas assez que ces personnages sont tenus et portés par le monde. Au contraire le Lys dans la vallée nous fait voir que le cour des passions est beaucoup changé par les événements historiques ; et encore bien plus évidemment dans La Guerre et la paix, les sentiments sont mûris par une nécessité étrangère, qui fait les rencontres, les péripéties, les dénouements. Cela ne change pas les caractères. le prince André , le vieux prince, Kutusof, ce sont des sortes de crocodiles, fortement terminés, et qui repoussent toutes les actions extérieures. Et notre ami Bésoukhov, qui semble changé, n'est que délivré ; sa nature propre se montre par les chocs de l'évènement ; de mieux en mieux nous reconnaissons qu'il est le même. Mais remarquez aussi qu'ils sont définis par la structure plutôt que par les pensées. Regardons bien là. Une chose étonne dans le prince André, dans Pierre Besoukhov, ainsi que dans Lévine. Ces hommes se posent à eux-mêmes de grands problèmes, comme tout le monde fait. Mais ce n'est ni liue commun ni doctrine ; ce sont des pensées naturelles, et qui résistent à la manière des corps. Aussi ces penseurs n'avancent guère, et nous non plus, dès que nous pensons avec eux. Chacun, à ces leçons précieuses, sent la résistance de sa propre forme, chose rare, et , retrouve une manière d edouter et de résoudre qui n'est presque point exprimable. Dans ce monde décomposé et atomistique de la Guerre et la paix, il est clair que les lieux communs ne font rien, quoique la masse emporet l'individu. .. (..) J'arrive par ce chemin au personnage principal du drame, qui est ce monde humain extérieur à lui-même, si bien nommé le monde, et qui est tout mécanique au fond. Anna y est prise, comme l'oiseau au piège. Karénine a bien cette forme de pince. Toute valeur bat des ailes et veut s'échapper. Par ce côté Anna est inncocente et grande. Mais elle manque à elle-même ; elle ne se croit point elle-même. Car, d'un côté, elle est du monde, et ne sait pas mépriser le monde. Mais, d'un autre côté, et c'est ce qui explique cette sorte d'esclavage, j'aperçois en elle une insuffisance intérieure, un abandon de l'intime gouvernement, une fatalité reconnue, une prédiction sur soi, une épouvante de soi. Nous sommes ici au coeur de la passion romantique, qui est certes de toutes les époques, mais qui devient, à certaines époques, le modèle préféré. Cet amour n'est nullement conduit, et c'est la foi qui manque .."

Encore deux pages, et je dirai ce que j'en pense, car il me semble déjà y voir une tendance comme si Anna avait à s'excuser et qui lui manquait d'intelligence : elle a entrevu l'amour, un amour passion : quiconque entre la dedans, tout naturellement, même s'il en éprouve un sentiment d'épouvante , la passion est dévastatrice..

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