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Critique de 4bis


4bis
30 décembre 2023
Barry est irrésistible. « Je suis encore un play-boy. Toujours là, Dieu soit loué. Qui se fait beau, tiré à quatre épingles, démarche virile. Toujours dans les un mètre quatre-vingt-cinq, sans signe de ratatinement. Qui arbore un certain je ne sais quoi. J'ai peut-être perdu mes cheveux, mais je possède toujours une moustache élégamment taillée à la manière des anciens séducteurs hollywoodiens. Les gens me disaient que je ressemblais à un jeune Sidney Poitier. Maintenant, ils préfèrent un (presque vieux) Denzel Washington. Qui suis-je pour discuter ? Les faits sont les faits. Certains gagnent, d'autres pas. Allez, vas-y, Barry. Vas-y… » Dans un costume croisé façon années 50, chaussettes et tire-chaussettes assortis à sa cravate de soie, boutons de manchette en or, Barry porte beau ses 74 ans tandis qu'il se glisse subrepticement dans la chambre conjugale où il espère que dorme son épouse Carmen avec laquelle il a émigré depuis Antigua dans les Caraïbes à Londres il y a si longtemps.

Depuis, de l'eau a coulé sous les ponts. le couple s'est enrichi grâce au flair immobilier de Barry, a eu deux filles Donna et Maxine qui ont désormais 50 et 40 ans. L'une est devenue une sorte de harpie psychorigide et complètement cinglée élevant seule son fils unique Daniel quand l'autre rêve de percer dans la mode avec le même enthousiasme qu'une gamine de huit ans. Carmen, l'épouse, s'est confite en religion. Elle tente ainsi de juguler la haine qu'elle éprouve contre son mari, de pardonner ses incartades avec des prostituées. Car « pour elle, son mari est un coureur de jupons. Répandant sa semence chez toutes les Jacynthe, Meredith et Jonquille du coin. Sur quelle preuve ? Parfum étranger ? Rouge à lèvres sur mon col ? Petites culottes dans la poche de ma veste ? En toute honnêteté, je peux dire à ma femme : « Chérie, je n'ai jamais couché avec une autre femme. » Elle préfère ne pas me croire. Ses gros yeux lui sortent presque de la tête. Si elle ne fait pas gaffe, je vais en attraper un et jouer au ping-pong avec. »

Barry est insupportable. Pédant, puéril, misogyne, infatué de lui-même. C'est un plaisir de lire ses diatribes contre les gosses qu'il faudrait enfermer dans une cave jusqu'à leur majorité dès qu'ils dépassent les douze ans, les énormités qu'il profère, sa clairvoyance sur les égarements… des autres, la haine enthousiaste qu'il manifeste contre Carmen, ses dauphins en crochet, ses pantalons de nylon et son bondieuseries.

C'est un fait que le couple va mal. Il n'est jamais allé vraiment bien d'ailleurs, car, sachez-le, Barry n'a qu'un seul amour. « Il s'appelle Morris. C'est mon Morris et il l'a toujours été. C'est un homme au grand coeur, un homme extraordinaire, un homme sexy, un homme loyal, un homme qui apprécie les bonnes plaisanteries, un homme à état d'âme, un homme qui boit et un homme avec qui je peux être complètement moi-même. » Leur couple clandestin écume les bars, écluse les verres de rhum, s'envoie en l'air avec bonheur et navigue à vue dans l'adultère et l'illicite depuis soixante ans. Depuis que sa femme Odette, il y a vingt ans désormais, a surpris les deux amants en plein ébat et a aussitôt demandé le divorce, Morris aimerait que Barry quitte Carmen et qu'ils vivent enfin ensemble au grand jour. C'est pas gagné.

Le roman commence là, les monologues impayables de Barry nous permettant de reconstituer ce que je viens de vous raconter. Avec intelligence, humour et un sens aigu de la psychologie, Bernardine Evaristo peint le portrait d'un homme et d'une génération. Noir immigré dans un Londres peu accueillant, Barry ne sait être qu'ostensiblement viril, macho et flambeur. Les années glissent sur lui, immuable dans ses inclinaisons et dans son désir de les dissimuler. Les événements racontés dans le roman vont se charger de le faire doucement évoluer mais surtout de croquer pour nous une succession de scènes drolatiques, de caractères impeccablement rendus, farce tendre et acide ayant pour centre un homme bourré de défauts et terriblement attachant.

J'avais beaucoup aimé la construction des personnages dans Fille, femme, autre. Je retrouve ce talent dans Mr Loverman, cette verve et cette énergie capables de nous peindre un monde chatoyant et subtil à la fois bien loin des attendus stéréotypés. Bernardine Evaristo sait camper des parcours avec finesse et nuances et, à travers eux, raconte de l'intérieur les représentations limitantes, les pièges dans lesquels on se complait parfois. Bien qu'enlevé, charmant et brillant, Mr Loverman est aussi, pour tous les personnages qui l'habitent, une histoire d'incommunicabilité avec soi-même, une histoire de libération permettant enfin d'être soi.
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