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Critique de Gabylarvaire


Kline est un détective qui a perdu sa main au cours d'une enquête. Tranchée net par le gentleman au hachoir. Il a cautérisé au plus vite, lui-même la plaie avec un réchaud dans le but de surprendre le tueur et ainsi l'achever, d'une balle dans l'oeil…
Pas le genre d'histoire qui reste insignifiante.
Et qui va attirer une secte : La Confrérie des Mutilés.

Kidnappé par les membres de la secte, il se voit octroyé de force, une mission complètement absurde : trouver un assassin au sein de la Confrérie, mais sans corps, sans lieu du crime, et dans l'interdiction formelle d'interroger les frères… Car la Communauté est hiérarchisée par le nombre d'amputation. Hors Kline n'est qu'un « un », puisqu'il ne lui manque que sa main. Et pour pouvoir avancer dans l'enquête, il faudrait au moins être un « quatre »…

1/Si vous connaissez un peu l'auteur, vous savez que le mormonisme occupe ses récits. Je vous synthétise grossièrement le mormonisme : un jour un mec très charismatique, Joseph Smith, se balade dans la forêt et rencontre un ange qui lui confie des plaques d'écritures saintes, lui permettant de rédiger le Livre des Mormons (une sorte de suite à La Bible, pour ceux qui arrivent aux States). Il aura au cours de sa vie, plusieurs contacts spirituels avec les hautes sphères déistes, notamment lorsqu'il se lassera de son épouse et qu'un ange lui annoncera qu'il doit se marier avec plusieurs femmes (bah voyons). Des branches différentes vont s'éloigner du mormonisme de base. Puis plus tard, s'installant dans l'Utah et pour des raisons politiques, ils vont devoir redevenir monogames. Mais la monogamie n'est pas du goût de tout le monde et d'autres branches extrémistes vont voir le jour.
J'ignore si Brian Evenson a été élevé par des extrémistes mormons, mais son personnage, Kline, va se retrouver bringuebalé d'une branche sectaire à une autre. La base du premier mouvement était que de perdre un membre, permettait de se rapprocher de Dieu. «Si la perte d'un membre nous rapproche de Dieu, ils pensaient l'approcher de plus près en multipliant les amputations. » C'est ainsi que la secte dévie dans l'exagération absurde et ridiculement douloureuse. La convoitise d'accéder au plus haut rang, va créer une hiérarchie au sein de la Communauté : plus vous avez de membres amputés, plus vous êtes au sommet. « La hiérarchie, les jugements portés contre les camarades ayant subi un nombre inférieur d'amputations, la servitude, la suffisance. »
Le sacrifice de soi, plus au sens propre qu'au figuré, n'est alors plus spirituel, mais motivé par le Pouvoir. Jeux de mains jeux de vilains. Notre protagoniste va devoir affronter l'horreur, les personnages se découpant de manière absolument consentante des bouts de leurs corps.
Consentants ?
Est-ce que justement, ce n'est pas le propre de la secte de nous faire croire que nous sommes consentants ?
Car la soumission au sein du groupe, fonde la course à la multiplication des amputations. Elle n'existait pas lorsque tous les membres étaient au même niveau spirituelle. La hiérarchie, que ce soit dans la religion ou les sectes, ne devraient pas exister, car nous sommes tous les agneaux de Dieu, au même niveau... Il ne devrait pas exister d'être supérieur en dehors du démiurge. La hiérarchie ce n'est pas spirituelle. Et en voulant atteindre le haut niveau, pouvons-nous alors parler de consentement? Voilà, à mon sens, la première symbolique du roman.

2/Lorsque nous sommes extérieurs à une religion ou une secte, nous sommes confrontés à l'ignorance et l'incompréhension la plus totale, qui institue ainsi la place du mouvement dans quelque chose que nous ne pouvons pas saisir, sans ressentir La Foi. La Foi ou l'Appel de Dieu. Et pourtant, les détenteurs de cette Foi mystérieuse peut rendre curieux. Cette curiosité est un piège. « La curiosité est vraiment quelque chose d'affreux, songeait-il. Comment peut-on s'empêcher d'avoir envie de savoir? » Cette curiosité elle concerne surtout ceux ou celles qui s'intéressent à la métaphysique. Et les communautés prosélytiques le savent, elles sont formées ainsi. (Je peux en témoigner, ayant assister pendant 3 ans, deux fois par semaine aux réunions dans le salle du Royaume des Témoins de Jéhovah). C'est encore plus hermétique pour ceux ou celles qui ne cherchent pas à savoir. Ces derniers ne seront pas la cible. Alors quand on est la cible, on entendra des phrases, tel que Kline l'entendra : « Quand vous aurez reçu l'Appel » qui pour les fanatiques est une évidence incontestable. Vous recevrez l'Appel, c'est certain. Et lorsque l'Appel de Dieu ne vient pas, et qu'un carnage est accompli, l'autre branche le voit comme un Elu. Celui qui doit éliminer les faux prophètes. Ne peut-il donc pas se sortir de ce cauchemar ? Non car il est difficile de sortir d'une secte. Et la bienveillance qui y règne, avec cette gentillesse à outrance, cette assurance de « protection », c'est quelque chose de très enivrant. La communauté protège, aide, soutiens, pourquoi donc vouloir en sortir ? Et si elle disait la Vérité ? Adopter la politique de la main tendue lorsqu'on n'a pas de main, quelle idée!
L'auteur utilisera en symbole d'incompréhension, quelque chose d'absolument révulsant : la mutilation pure et simple (dans la joie et la fête en plus).

3/J'ai beaucoup de mal à saisir le rapport de Brian Evenson avec l'amputation. Dans son roman immobilité, le protagoniste n'est pas amputé mais il ne peut clairement pas utiliser ses jambes. Dans Baby Leg, on subit des expériences douteuses sur les corps et cette femme qui a une jambe de bébé à la place de sa vraie jambe, et maintenant celui-ci. Mais son génie d'écriture rend certaine situation très drôle. Les dialogues absurdes n'ont rien à envier à Samuel Becket et la banalisation des amputations donnent l'impression que l'auteur joue avec monsieur Patate. Même si j'avoue que les premiers passages m'ont donné la nausée, la répétition de l'horreur grandguignolesque finit par rendre ses scènes horribles à la limite de la comédie. Et lorsque le protagoniste se balade avec une tête ensanglantée, et qu'il se pose des questions sur son inhumanité, nous nous rendons compte que nous avons perdu la nôtre puisque nous ne sommes pas horrifiés par la situation. C'est très fort.

C'est mon quatrième roman de Evenson, et je dois avouer que je suis accro.
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