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Critique de LaBiblidOnee


Bien sûr, il fallait que ça tombe en plein silence, entre le gratin dauphinois et la salade. Dis Onee, maintenant que tu l'as lu, tu voudrais pas nous faire un petit Discours sur ce livre ? « Il ne manquait plus que ça pour me pourrir la soirée, un discours ». Les belles-soeurs ont le don pour poser les questions auxquelles on ne veut pas répondre. Parce qu'écrire quelques notes sur une lecture, et improviser un laïus sur commande, quand tout le monde est suspendu à tes lèvres et n'écoute plus que toi, c'est pas la même chose. C'est comme ces pâtisseries maison que l'on fait régulièrement pour se régaler et faire plaisir à son chéri, et qu'on ne sait plus faire lorsque l'on a des invités, que l'un d'eux a réclamé notre fameux gâteau au chocolat, que tous les ingrédients sont sur la table mais que, dans la panique, on ne sait plus par où commencer et qu'on les mélange tous dans le désordre. Comme tout à l'heure, avant qu'ils n'arrivent, quand la figure enfarinée et les doigts pleins de chocolat, j'ai dû envoyer un SMS à Chéri alors que je m'étais jurée de ne pas le faire. Ne m'a-t-il pas dit qu'il voulait « faire une pause » ?(*) En même temps une pause, ça n'est pas un adieu, si ? Est-ce que je dois te raconter ça aussi, belle-soeur, dans mon laïus sur le Discours ? A quel point j'ai compris Adrien, le personnage principal ? « Dans la famille, j'avais toujours été celui dont on ébouriffe les cheveux en déclarant, une lueur un peu triste dans le regard, Aaah lui il est dans son monde… »


Ce sont toujours les gens de notre famille qui nous connaissent le moins. Pourquoi se parler est-il si difficile ? Parce que personne n'écoute vraiment de toute façon ; mais tout le monde juge. Voilà pourquoi on entretient avec nos familles « des rapports navigant mollement entre non-dits, consensus respectueux et acceptation polie, un non-rapport, cette volonté de en pas faire de vague pour ne pas avoir à les surmonter ». le beau frère d'Adrien n'aurait jamais dû lui demander ça, il aurait dû comprendre que quelque chose n'allait pas ; que si, pour une fois, Adrien refusait de faire ce discours, c'est qu'il ne s'en sentait pas capable, ou n'en n'avait pas envie. Mais faire un discours, au mariage de sa soeur et de son beau-frère, c'est forcément un honneur, n'est-ce pas ? Même quand ça implique de penser que « la seule solution pour ne jamais prononcer ce discours serait que la cérémonie soit annulée ». Même si Adrien est aussi en pleine rupture, depuis 38 journées interminables, et que personne ne s'aperçoit de son désarroi. Il devrait, en plus, faire comme si il avait envie d'écrire un discours pour un mariage ! C'est tellement révélateur de notre société, après tout. Car masqués, nous l'étions bien avant qu'un virus nous permettent simplement, et paradoxalement, de nous montrer tels que nous sommes. « Peut-être ne faut-il jamais être soi dans l'intimité si l'on veut qu'une relation dure comme au premier jour, préserver à exhiber l'appartement témoin contre vents et marées, se contenter de montrer la vitrine. »


Alors oui, chère belle-soeur, Fabcaro réussit avec brio un exercice difficile : 287 pages de monologue intérieur dans lequel chacun pourra se reconnaître. Déroulé par une plume fluide et aérienne, il porte pourtant, comme un fardeau, un propos aussi lourd que les habitudes : le masque. Pas celui, très à la mode en ce moment, qui cache nos sourires au profit du miroir de nos âmes, non. Ce masque plus opaque encore, que nous arborons en société sans même nous en rendre compte. Parce qu'on a peur de ne pas être écouté, ou bien alors d'être jugé. Celui qui nous fait dire que tout va bien quand tout va mal ; qui masque les déceptions familiales, assourdit les protestations amoureuses de nos petits coeurs brisés ; répond à une question déplacée par une platitude de circonstance ; celui qui absorbe les rébellions de l'âme alors que vous en ressassez toujours les blessures, béantes de n'avoir pas pu - ou su - s'exprimer au bon moment, de la bonne manière, et dont les cicatrices, mal refermées, continuent de harceler vos pensées indisciplinées, leur flot ininterrompu tourbillonnant inlassablement derrière le miroir sans tain de vos yeux, et le filtre de vos lèvres polies. Ce masque, que la bienséance, la politesse et le respect, inculqués dès la plus tendre enfance, nous ordonnent de garder bien serré. Ce masque, qui bloque le Discours insensé que l'on aimerait délivrer, se nichant là où l'on n'ira pas le chercher, bien au chaud dans nos viscères, qui enflent, silencieuses et complices, jusqu'à ne plus pouvoir - ne plus vouloir - contenir et endiguer encore cet amas de sensations nocives. Jusqu'à vouloir les extérioriser, violemment. Les vomir. Au plus mauvais moment. Genre, celui du mariage de sa soeur. Mais pourquoi crier, pour qui ? quand tout semble dérisoire, sauf la personne qui n'est pas là pour entendre ce cri. « La réalité ne vaut pas suffisamment la peine que je m'échine à la faire exister ».


Voilà pourquoi j'aime les romans introspectifs en général, et le Discours en particulier. Ils disent ce que tout le monde tait, ce que couve nerveusement chacun d'entre nous. J'ai aimé ce livre parce qu'il est drôle aussi, parce que la sincère sensibilité d'Adrien ne trouve parfois que l'ironie pour exprimer l'inexprimable. Et que cet humour transforme tous les clichés qui constituent nos vies, et qui se répondent brillamment tout au long du monologue d'Adrien, en repères auxquels se raccrocher quand tout le reste à foutu le camp. Alors même si, après avoir dévoré les 100 premières pages en jubilant, j'ai eu un peu l'impression de tourner en rond les 100 suivantes, j'ai quand même pris mon pied ; et je suis prête pour suivre l'auteur à Broadway. Mais je sais aussi que ce n'est pas un Discours assez lisse à tenir à sa belle-soeur pendant un repas de famille masqué, dans le silence qui suit la salade et précède le fromage. Alors, oserai-je le faire, ce Discours…? Ou vais-je simplement lui dire qu'il est dans la même veine qu'« Une pièce montée », de Blandine le Callet - en déposant sur la table un exemplaire de cette foutue oeuvre d'art, achetée en vitesse chez le pâtissier car il n'avait plus que ça, avant la fermeture, quand je suis allée chercher un remplaçant à mon gâteau au chocolat loupé ; Un mariage venait d'être annulé.


Et vous, un petit discours ?



(*) PS : pour ceux qui s'inquièteraient, c'est une fiction ;-)
(Je ne rate jamais un gâteau au chocolat^^).
Lien : https://www.babelio.com/livr..
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