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Critique de ATOS


« Une poussière de l'Histoire vous tombe sur la tête, et c'est une montagne qui s'abat sur vous. ». le premier cas signalé de Covid 19 dans la ville de Wuhan date du 17 novembre 2019. . le 31 décembre 2019 l'apparition d'un nouveau virus a été rendue publique dans la Chine entière. le 23 janvier 2020 «  les rafales de vents sur l'eau glacée de la rivière Yi » (Jing Ke) entrent dans Wuhan.
Durant les 76 jours de confinement, Fang Fang, auteure chinoise, habitante de Wuhan, rédige soixante textes qui constituent un journal quotidien que l'auteure a publié, au jour le jour, sur Weibo.
Weibo, Wechat sont à la Chine ce que Twitter et Facebook sont à l'Europe. Une petite différence ( peut -être)  : en Chine ces réseaux sociaux sont directement contrôlés et instantanément censurés par le pouvoir en place si ce dernier en ressent l'urgence. Ces deux réseaux sociaux sont devenus les deux sources d'informations et de communication en Chine.

«  le travers consistant à ne rapporter que les bonnes nouvelles et à cacher les mauvaises, l'habitude d'empêcher les gens de révéler la vérité et la population d'y avoir accès, le mépris pour la vie individuelle, tout cela nous a menés là où nous en sommes aujourd'hui ».

Fang Fang s'interroge sur les causes de ce drame. Mais elle connaît déjà les raisons intrinsèques de la catastrophe. Si le virus était peut-être inévitable, c'est tout un système qui a failli. Et cela n'est pas propre à la Chine…
« si la même situation était apparue dans d'autres provinces, les cadres locaux n'auraient pas fait mieux. Une administration qui ne permet pas la promotion des meilleurs éléments engendre des conséquences désastreuses ; des discours politiquement corrects mais creux, au détriment de la recherche de la vérité à partir des faits, engendrent des conséquences désastreuses ; empêcher les gens de dire la vérité et les médias de rapporter la réalité engendre des conséquences désastreuses ; et toutes ces conséquences, nous les subissons une par une. Mais voilà, Wuhan, première ville a être touchée, en a un désastreux avant-goût. »
Lire le journal de Fang Fang nous fait comprendre la proximité de nos destins.
Je repensais à un texte de Pierre Gamarra sur la fraternité :
« Regarde-moi. J'ai deux yeux.
J'ai deux mains.
Mon sang est rouge
Mes songes sont comme les tiens,
sombres ou clairs.
Une rose naît dans ma main.
Une rose naît dans ta main.
Il suffit que je dise « rose ».
Il suffit que tu dises « rose... ».
Tu as deux yeux.
Tu as deux mains.
Ton sang est rouge
Quand nous marchons vers le soleil,
chacun de nous possède une ombre,
mais nous ne sommes pas des ombres,
nous ne sommes pas des fantômes,
nous sommes des mains et des coeurs,
nous sommes des pensées humaines. »

C'est le message de Fang Fang. « nous ne sommes pas des ombres,
nous ne sommes pas des fantômes ». Alors écrire sur le vif ce qui se passe.
Témoigner, laisser une trace. Voilà comment nous vivons, voilà ce que nous avons traversé. Voilà nos morts, nos douleurs, nos peurs, nos doutes voilà le silence, voilà les cendres, et voilà comment nous tentions de protéger l'espoir.
Plus de 10 millions de personnes se retrouvèrent isolés du jour au lendemain. Alors que durant les plus de 20 jours qui précédèrent cet ordre, alors que es utorités savaient la nature et la dangerosité de ce virus, rien ne fut fait pour alerter la population. Ces vingt jours marqueront sans doute à jamais la mémoire du monde. Qui et pourquoi . Voilà ce que ne cesse de se demander de Fang Fang.
Pourquoi l'inaction, pourquoi le silence, pourquoi ce manquement, qui en est responsable, qui y avait intérêt ?
«  Vous voyez, moi qui écris habituellement des romans, en consignant en ce moment de petites choses insignifiantes chaque jour, je ne fais que poursuivre ce que j'ai toujours fait : j'observe, je réfléchis, je cherche à comprendre, et puis je prends la plume. Se pourrait-il que ce soit quelque chose de mal ? »
De l'avis des ultra-nationalistes chinois la réponse est oui. Notre réponse que nous adressons à Fang Fang tient en un mot : merci.
« je voudrais surtout dire que la véritable mesure de civilisation d'un pays n'a jamais été la hauteur de ses gratte-ciel ou la vitesse de ses voitures, ni même la puissance de son armement ou a force de son armée, pas plus d'ailleurs sa technologie ou ses réalisations artistiques, ou encore le faste de ses réunions officielles, la splendeur de ses feus d'artifice, ni même le nombre de ses touristiques qui voyagent à travers le monde en s'offrant les produits de luxe les plus coûteux. Un seul critère suffit : son attitude envers les plus vulnérables ».
« Quand vous entendez dire « nous vaincrons à tout prix », n'allez pas imaginer que vous êtes ce nous, mais plutôt cet à tout prix »….
« Le monde de a bureaucratie grouille de gens qui n'ont jamais rien appris de leur vie, mais qui sont les maîtres des artifices en tout genre et qui, face à vous, ont des moyens que vous n'auriez jamais imaginés. Leur propension à se soustraire à leurs responsabilités est sans égale. Sans cela, comment cette épidémie serait-elle devenue la catastrophe qu'elle est aujourd'hui ? »
Elle écrit, publie, est censurée. Son compte suspendu. Elle écrit, et arrive à faire publier ses textes.
«  Notre tête doit croître sur nos propres épaules ». ( Jiang Hong).
Toutes ces voix, inconnues, ces visages entre les murs existent. Ont existé.
Ce journal en témoigne.
«  dans une époque sans héros, il me suffit d'être un homme ». ( Bai Dao).
Elle écrit.
Elle écrit, fait face aux menaces et aux injures.
«  mon enfant, je peux encore ajouter que l'époque de messeize ans était bien pire que la tienne.Je n'avais alors jamais entendu parler de cette idée de « penser par soi-même ».Je ne savais même pas qu'une personne avait besoin de penser par elle-même. Je faisais tout ce que mes professeurs me disaient de faire, je suivais tout ce que l'école m'inculquait, tout ce que le journal me dictait ou que la radio me demandait. J'avais onze ans quand la Révolution cuturelle a éclaté, vingt et un lorsqu'elle a pris fin. J'ai grandi durant cette décennie. Je n'avais alors jamais pensé par moi-même, parce que je ne me considérait pas comme un être indépendant, je n'étais qu'une simple vis au coeur d'une machine. Je fonctionnais à son rythme, m'arrêtant quand elle s'arrêtait, démarrant quand elle démarrait. Une situation certainement identique à la tienne aujourd'hui ( pas à celles des autres étudiants, parce que beaucoup de jeunes de seize ans aujourd'hui sont capables de penser par eux-mêmes).(….) je pense mon enfant que j'ai eu de la chance.Bien que j'aie reçu une éducation stupide dans mon adolescence, cela ne m'a pas empêchée d'entrer à l'université plus tard. Une fois là, j'ai été avide d'apprendre et d'étudier, de discuter de sujets importants avec mes camarades, de me mettre à l'écriture, et un jour j'ai su penser par moi-même. »
Elle écrit,
«  sortant du chaos dans lequel la Chine se trouvait à la fin de la Révolution culturelle, je l'ai vue se transformer pas à pas d'un pays arriéré à un pays puissant. Sais-tu, mon enfant, j'ai passé les dix années de réforme et d'ouverture à lutter avec moi-même.Une décennie. Je voulais purifier mon cerveau des immondices et des toxines qui y étaient comprimés.Je vouaus y introduire des choses nouvelles, je voulais essayer de voir le monde avec mes propres yeux, je voulais apprendre à penser par moi-même avec mon cerveau. Bien sûr, un tel apprentissage est basé sur une longue expérience personnelle, sur des lectures, des observations, et des efforts.
J'ai toujours pensé, mon enfant, que ce genre de combat avec soi-même, ce travail de désintoxication, ne concernait que ma génération.Je n'vais jamais imaginé que d'autres jeunes seraient un jour amenés à vivre une expérience semblable à la mienne, des jeunes comme toi et certains de tes camarades.Vous devrez, vous aussi, lutter avec vous-mêmes, pour extraire tous ces poisons et déchets déversés dans votre esprit durant votre jeunesse.Ce n'est pas un processus douloureux, chaque prification est une vraie libération. Il faut maintes et maintes fois recommencer.
Ces libérations successives transformeront le petit boulon rouillé et pétrifié en être vrai. Comprends tu mon enfant ? Maintenant, je t'offre ces deux vers de ce poème de Bai Hua :
«  J'ai eu, moi aussi, une jeunesse comme vous.
A cette époque-là, nous étions jeunes, comme vous l'êtes aujourd'hui ».

Wuhan, fille du peuple Chu, ville du fleuve, capitale de la province aux mille lacs, fut dé-confinée le 08 avril 2020.
Le 24 janvier 2020 les trois premiers cas de contamination au covid 19 furent identifiés en France. le 17 mars 2020 le premier confinement, en France commençait.

« Mes amis, ne parlez surtout pas victoire. Souvenez-vous, il n'y a pas de victoire, seulement une fin ».

Merci à Fang Fang, et à toutes celles et ceux qui se sont relayés pour que ce journal nous parvienne.

Astrid Shriqui Garain



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