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Critique de GabrielKevlec


François est auteur. de lui, de son physique, finalement, on en sait assez peu : couleur des yeux, des cheveux, au point qu'on a du mal à s'en faire une image mentale. On le modèle alors à notre image : il est « nous ». Il est « je ». Dès les toutes premières pages, on suit le flot de ses pensées, de ses réflexions ; on plonge avec lui. L'impression est encore renforcée avec les quelques passages où le narrateur s'adresse à Frédéric à la 2e personne du singulier.
Frédéric est musicien. de son corps, on saura tout, tout ce qu'on ne décrit pas forcément en première intention, tout pressé que nous sommes de réduire une personne à quelques traits physiques comme si l'on cochait des cases. Mais Frédéric ne coche aucune case. Garçon féminin, homme blessé, meurtri dans sa chair, émietté dans son âme après avoir subi l'une des pires choses qu'un être humain peut infliger à un autre : le viol.
Au cours de ce roman que j'ai lu en une seule journée tant il m'était impossible de le lâcher, l'auteur raconte avec une extrême pudeur leur rencontre. L'échange de regards, le dialogue des peaux, la jonction des âmes. Une rencontre de près de 300 pages. Et il n'en faut pas moins pour que les personnages se rencontrent en effet, au sens étymologique du terme : aller contre quelqu'un. Et pour cause : Frédéric est un homme en ruines, un homme qui n'a jamais appris que l'amour n'était pas censé faire mal, un homme que la souffrance morale pousse à chercher la douleur physique extrême. Dominique Faure réussit là avec maestria à décrire de façon délicate, presque ouatée, des élans de violence inouïe, violence des autres, violence contre soi. Cette singulière dichotomie, cette valse sur la suture des sentiments nous emporte dans l'intimité de ces deux hommes sans jamais se faire voyeur. Ses mots soyeux comme des plumules de moineaux vous attrapent le coeur, vous fouillent jusqu'à l'âme ; Iel manie les mots comme on effleure les touches d'un piano, avec une précision folle et une justesse magistrale.
Cette histoire est celle de l'apprentissage de la douceur, un éloge de la lenteur et de l'amour véritable, celui qui fait passer l'autre bien avant soi-même, celui grâce auquel on accepte une personne dans la globalité, avec ses facettes éclatantes et ses lignes de faille, ses inclusions noires comme de la suie qui nous renvoient à nos propres faiblesses. André Breton écrit dans L'Amour Fou : « C'est vraiment comme si je m'étais perdu et qu'on vînt tout à coup me donner de mes nouvelles. » François et Frédéric se rencontrent et, l'un contre l'autre, iront à l'encontre de la part la plus sombre et la plus douloureuse d'eux-mêmes.
Difficile de décrire l'émoi dans lequel ce roman m'a plongé, la manière dont il a fait écho en moi. Ces mots qui m'ont fait un mal de chien, un bien de fou. C'était parfois comme lire un cri de mon propre coeur, un chagrin de mon propre corps qui fut transpercé, comme tant d'autres, comme trop d'autres, et j'ai perçu entre les lignes un reflet réaliste, jamais exagéré, de ma propre violence, celle avec laquelle on punit le corps qui n'a pas su se défendre, qui a attiré le monstre, mais pourquoi ?, celle qui devient parfois le seul langage par lequel on parvient à communiquer avec lui. Une réplique de Frédéric m'a mis à terre : « Tu sais, il y a des moments où je suis fou. Il faut que tu te le dises. Je ne m'adresse pas à toi. Je crie ma souffrance. Elle ne s'adresse à personne. Surtout pas à toi. Ce sont des instants fous, des désirs fous qui passent. Qui me passent vite. »
Un cri de souffrance. Je ne pourrais mieux l'exprimer. Ce roman est un cri de souffrance à tordre tous les barreaux, un cri silencieux. Peut-on réparer les dégâts causés par d'autres ? Peut-on reconstruire quand on nous a laissé à 16 ans en champ de ruines sur un carrelage froid ? Avec la délicatesse des mains qui se font l'amour, des frissons délicieux de l'effleurement, François va s'y employer, bâtissant de sa tendresse et de ses bras un lieu sûr pour Frédéric. Les scènes d'amour, légères comme des nocturnes, d'une décence et d'une justesse rare, tranchent avec les élans funestes de l'âme de Frédéric. Entre douceur et douleur, son corps balance. Notre coeur aussi.
Un roman magnifique, un coup de coeur que je ne peux que vous encourager à lire, pour apprendre ou réapprendre le toucher du cachemire, les frissons de la plume, et ces tout petits riens qui réparent les âmes.
Ces instants de grâce.
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