Je ne veux pas changer, ai-je dit. Je pense que les filles et les garçons devraient pouvoir être tout ce qu’ils veulent être sans qu’on s’en prenne à eux.
J’ai planté l’aiguille dans ma cuisse et j’ai injecté le produit. C’était moins dur que ce que j’avais pensé. J’ai senti monter une vague d’excitation en moi. Je ressentais la possibilité que quelque chose change, qu’un énorme poids me soit enlevé.
J’aurais aimé pouvoir rester et dévorer tout ce savoir. J’espérais quelque part que ça aurait donné à mes yeux du sens au monde. Mais je sentais ma vessie qui commençait à me faire mal, et les deux WC étaient en plein dans le champ de vision de la femme derrière le guichet. Je n’avais pas la force de gérer ça. J’ai laissé derrière moi les secrets de l’univers, je suis retournée à la voiture et j’ai conduit jusqu’à la maison de Gloria pour utiliser les toilettes en toute intimité.
Une part de moi veut venir avec toi, a-t-elle dit. Mais si je le faisais, je vivrais ta vie, pas la mienne. Je finirais par t’en vouloir de ma décision.
Comment ça se fait que personne ne me laisse jamais le choix dans la vie ? Je ne peux pas continuer à vivre comme ça, mais tu ne passeras pas avec moi la seule porte qui m’est ouverte.
Je me sentais ni homme, ni femme, et j’aimais cette façon d’être différente.
J’aurais voulu lui dire que j’avais le sentiment de ne pas aller bien du tout. C’était si dur d’être différente. Je n’avais jamais une seconde de répit. Je me sentais toute désorientée et mon corps fatigué me pesait. Je voulais lui dire tout ça. Mais les mots ne venaient pas.
Bébé, tu vois, des fois tu dis des trucs comme : « Je ne comprendrai jamais les femmes » ? Eh bien, penses-y, mon amour : tu es une femme. Alors, qu’est-ce que ça dit en réalité ? C’est un peu comme un flingue avec un canon ouvert des deux côtés. Quand tu tires, tu finis par te blesser toi aussi.
Je me rends compte de plein de trucs sur ma vie. Sur le fait d’être une femme. Des trucs auxquels je n’avais jamais pensé avant de rencontrer le mouvement des femmes.
Elle a réfléchi à la question.
– Je pense que c’est parce qu’elles ont tracé une ligne : les femmes d’un côté et les hommes de l’autre. Les femmes qui, selon elles, ressemblent à des hommes sont l’ennemi. Et les femmes comme moi couchent avec l’ennemi. On est trop féminines à leur gout.
Je l’ai arrêtée :
– Attends un peu… On est trop masculines et vous êtes trop féminines ? Qu’est-ce que c’est que ce bordel ? Qu’est-ce qu’il faut qu’on fasse alors ? Prendre un mètre et mesurer pile poil le milieu avec l’index ?