– T’es qu’une sale petite salope de Youpine, une putain de gouine.
Tous mes crimes étaient listés. J’étais reconnue coupable.
Est-ce que c’est comme ça que les hommes et les femmes font du sexe ? Je savais que ce n’était pas ça faire l’amour. Ça, c’était plutôt faire la haine. Mais est-ce que c’étaient ces gestes mécaniques là qu’évoquaient toutes les blagues, les magazines pornos, les rumeurs ? C’était ça ?
J’ai ri bêtement, non pas parce que ce qui se passait était amusant, mais parce que toutes les histoires sur la sexualité me semblaient tellement ridicules. Jeffrey a retiré sa bite de moi et m’a giflé au visage. Un aller-retour.
– C’est pas drôle, a-t-il crié. C’est pas drôle, putain de salope cinglée
Ma famille était Juive et de classe ouvrière. J’étais tombée dans un abime de solitude sociale.
Forte face à mes ennemis, tendre pour celles que j’aimais et que je respectais. C’était ainsi que je voulais être. Bientôt, j’allais devoir soumettre ces qualités au test. Mais pour l’instant, j’étais heureuse.
Eh bien, qu’est-ce qui fait qu’une butch devient une bonne amante ? ai-je demandé, en essayant de faire comme si la réponse n’avait pas tant d’importance pour moi. Son visage s’est adouci.
– C’est difficile à dire. Je suppose qu’être une bonne amante, ça veut dire savoir respecter une fem. Ça veut dire être à l’écoute de son corps. Et même si le sexe devient un peu brutal, ou quoi que ce soit, c’est parce qu’elle en a envie aussi, parce qu’au fond de toi tu la traites toujours avec douceur et attention. Est-ce que ça te parle ?
Ce que j’y ai vu m’a fait monter aux yeux des larmes contenues depuis des années : des femmes solides, baraquées, qui portaient la cravate et le costume. Elles avaient les cheveux lissés en arrière à la gomina. C’étaient les femmes les plus imposantes que je n’avais jamais vues. Certaines d’entre elles dansaient des slows en enlaçant d’autres femmes en robes moulantes et talons hauts qui les caressaient tendrement. J’en crevais d’envie rien qu’à les regarder.
J’ai trouvé une anthologie de poésie dans la bibliothèque des patients. Ça a changé ma vie. J’ai lu et relu les poèmes jusqu’à ce que j’en saisisse le sens. Ce n’était pas seulement parce que les mots ressemblaient à des notes de musique que mes yeux pouvaient chanter. C’était aussi découvrir que des femmes et des hommes morts depuis longtemps m’avaient laissé des messages sur leurs sentiments, des émotions que je pouvais comparer aux miennes. J’avais enfin trouvé des gens qui se sentaient aussi seuls que moi. D’une curieuse manière, cette découverte m’a réconfortée.
Pendant un instant, j’ai vu dans ce miroir la femme que j’allais être une fois adulte qui me regardait fixement. Elle avait l’air inquiète et triste. Je me demandais si j’étais assez courageuse pour grandir et devenir elle.
Mais pourquoi est-ce qu’elle n’est pas comme Rachel ?Rachel m’a regardé, honteuse. J’ai haussé les épaules. Le rêve de Rachel, c’était une jupe de velours avec un caniche en tissu dessus et des chaussures en plastique couvertes de strass.
Quand ma mère s’est rendu compte qu’elle était enceinte de moi, elle a dit à mon père qu’elle ne voulait pas perdre sa liberté en faisant un enfant. Mon père lui a affirmé qu’elle serait heureuse quand le bébé serait là. Que la nature y veillerait. Alors ma mère m’a eue pour lui prouver qu’il avait tort.
Je n’ai pas voulu être différente. Je désirais être exactement ce que les grandes personnes voulaient que je sois, pour qu’elles m’aiment. Je suivais toutes leurs règles en faisant de mon mieux pour leur plaire.