AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de ChB62


Le roman La Juive de Tolède est paru (en allemand) en 1955 simultanément en RDA et en RFA  sous deux titres différents : Die Jüdin von Toledo en RDA (Aufbau Verlag) et en RFA sous le titre Spanische Ballade (Rowohlt)

Lion Feuchtwanger est né à Münich en 1884 et mort en 1958 à Los Angeles. Compagnon de route du Parti communiste, ses écrits ont participé, dès l'entre-deux-guerres, à la promotion et la défense de l'URSS. Il fut l'invité d'honneur de Staline en 1937 pendant deux mois et en revint avec un ouvrage « Moscou 1937 » sorte de contrefeu au « Retour de l'URSS » de Gide de l'année précédente. On peut supposer que Staline en fut satisfait puisqu'une édition complète des oeuvres de Feuchtwanger fut publiée à cette époque en URSS et que son livre « Les frères Oppenheim » y fut adapté au cinéma. Feuchtwanger, auteur du Juif Süß, fut également très présent dans le combat antifasciste et antisémite.

Après la Seconde guerre mondiale, il ne quitte pas son exil américain, et reste fidèle à ses positions prosovitiques. Il devient un soutien de la RDA dont il reçoit régulièrement des marques de reconnaissance ; en revanche cette proximité avec le bloc socialiste l'empêchera d'acquérir la nationalité américaine.

Roman historique qui s'appuie sur le Livre d'Esther, dans la Bible, que Lion Feuchtwanger a toujours admiré ; la Juive de Tolède en est une transposition dans l'Espagne de la Reconquista et de la IIIème Croisade. Cette transposition se coule dans la réécriture d'une tradition littéraire du Moyen-Âge que Lion Feuchtwanger va développer et enrichir de ses intentions, l'histoire de la Juive de Tolède.

Le roi Alphonse VIII (il sera le grand-père de Saint Louis par sa fille Blanche de Castille) tombe passionnément amoureux de Raquel, la fille unique de Jehuda Ibn Esra, commerçant Juif resté à Séville pour sauvegarder le bien de sa famille et pour cela, converti à l'Islam. Devenu riche il est autorisé à partir à Tolède où il peut pratiquer librement sa religion juive et se met au service du roi Alphonse VIII. Ses qualités de gestionnaire lui permettent de devenir un proche écouté du roi ; le roi tombe éperdument amoureux de sa fille Raquel à en oublier son épouse de reine, la fille d'Aliénor d'Aquitaine.

L'auteur met en scène la – difficile - coexistence des religions, dans cette péninsule où s'affrontent depuis des siècles l'Islam et la Chrétienté avec en otage les Juifs. S'affrontent et coexistent dans une forme d'apartheid, tant dans les territoires sous domination de l'Islam que dans la Chrétienté : dans les deux cas il s'agit d'une coexistence dans une certaine précarité car inégalitaire. Chacun a un statut déterminé par sa religion er les religions dominées ne sont pas à l'abri d'un changement d'attitude du politique à leur égard et/ou d'actions de rejet des populations. Toutefois ceci n'exclut pas des parcours individuels d'exception. C'est le cas d'un des principaux protagonistes du roman de L. Feutchwanger : Jehuda Ibn Ezra est proche de l'émir qui ne l'interdit pas de vendre ses biens et de partir pour Tolède où il peut embrasser à nouveau librement sa foi. Installée avec sa fille dans un magnifique palais il devient un des principaux conseillers du roi. Sa position lui permet de protéger la communauté juive de Tolède et également de venir en aide aux Juifs persécutés en dehors du royaume.
Son action au sein du royaume aura pour but de sauvegarder aussi longtemps que possible la Paix, qui est nécessaire au développement économique et au bien-être du peuple alors que les Grands et les rois se languissent de ne pouvoir montrer leur courage, gagner leur salut par la défense de la Chrétienté et revenir pleins de gloire et de butin de la guerre. Jehuda est aidé en cela par la passion du roi pour sa fille, la belle Raquel, qui vit avec le roi une belle passion qui les retient dans le palais mis à disposition par le roi.
Las, la guerre sera inévitable et avec elle le drame final.

Le roman donne l'occasion à Feuchtwanger de décrire l'arrière-plan culturel, économique et social de la péninsule ibérique de cette époque  et de développer sa vision de l'histoire : les civilisations naissent, se développent et disparaissent. Chacune des trois civilisations, l'Islam, la Chrétienté et le Judaïsme se voit assigner un rôle, une position, une mission. Feuchtwanger souligne l'apport de l'Islam au développement économique de la péninsule ibérique (développement de l'agriculture grâce notamment à l'irrigation, développement de l'industrie – textile, travail des métaux, etc) face à une Chrétienté fourvoyée dans sa féodalité et sa culture chevaleresque. Mais l'Islam est arrivée à son apogée et entame son déclin et laissera la prééminence à l'Occident fécondé par l'esprit de commerce et d'entreprise incarné par le peuple juif. La féodalité et sa superstructure culturelle que sont la chevalerie et la courtoisie ont besoin de la guerre pour s'accomplir, de la guerre sainte de préférence. En face, il y a la sagesse, le sens de la gestion, le développement économique, la paix qui permettent le développement des richesses et le bien-être de tous. On pense bien sûr à la naissance de la Bourgeoisie qui apparaît comme une classe sociale progressiste par opposition à la Féodalité. Et cette classe émergente est portée par des personnages comme Jehuda Ibn Ezra, le père de Raquel, juif de Séville, en quelque sorte héritière de l'Islam et en capacité de le dépasser.

La Juive de Tolède est un roman historique de bonne facture, dont les thèses idéologiques ne pèsent pas sur le plaisir de lecture grâce notamment à l'épaisseur psychologique qu'a su leur conférer l'auteur, notamment dans la relation, centrale, du roi et de Raquel.

Toutefois on peut s'interroger sur l'angle choisi par l'auteur pour lutter contre l'antisémitisme. En effet le rôle revendiqué et reconnu aux Juifs dans l'évolution des rapports sociaux n'échappe pas à une certaine essentialisation en écho avec l'antisémitisme du début du XXème siècle qui a assimilé le Juif et le Bourgeois, la judéité à la ploutocratie d'un côté et à la subversion de l'autre.
Commenter  J’apprécie          10



Ont apprécié cette critique (1)voir plus




{* *}