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Critique de Elouan00


Il me faudrait marquer d'une pierre blanche les lectures qui m'en ont appris un peu plus sur mes goûts en littérature, même si ceux-là ne font pas forcément partis de mes préférés. Tom Jones ? Si, c'est très bon, j'ai même adoré. On peut cependant remarquer que si Fielding fait à l'instar de Laurence Sterne des coupures dans son récit. le premier semble le faire pour ménager des effets sur son lecteur, qui peuvent, par moments, paraître un peu faciles. Un peu comme un effet « cliffhanger » avant le nom. D'autres fois il se fiche assez facétieusement de son lecteur, comme dans le chapitre intitulé « Morceau de style liminaire » (Chapitre 1er, Livre XVII) qui m'a laissé abasourdis. Fielding est assez connu pour avoir intégré dans son roman des éléments de considérations générales sur la littérature. Il conçoit un mépris assez vif pour certains critiques de son époque (pour ne pas dire la plupart).

"Lecteur, nous sommes dans l'incapacité de savoir quel genre de personne tu es, car s'il est possible que tu sois aussi grand connaisseur de la nature humaine que Shakespeare lui-même, il l'est tout autant que tu sois aussi dépourvu de sagesse que certains de ses éditeurs. Pour le second cas, donc, nous croyons utile, avant d'aller plus loin ensemble, de te donner quelques avis salutaires, afin que tu ne nous interprètes pas de travers et que tu ne nous présentes pas sous un jour grossièrement faux, comme certains desdits éditeurs ont fait pour leur auteur.
Nous t'avertissons d'abord de ne condamner avec trop de hâte aucun des incidents de notre histoire, comme impertinent et étranger à notre but principal, du fait que tu ne conçois pas immédiatement de quelle façon pareil incident peut mener au but. On peut, en effet, considérer cet ouvrage comme une grande création faite par nous ; et qu'un petit reptile de critique se permette de trouver à redire à aucune des parties sans savoir comme le tout est relié et avant d'être arrivé à la catastrophe finale, est d'une présomption des plus absurdes. L'allusion et la métaphore dont nous venons d'user sont, il faut le reconnaître, infiniment trop puissantes pour la circonstance ; mais il n'en est, en vérité, pas d'autre qui permette d'exprimer la différence entre un auteur du premier rang et un critique du dernier."
(Chapitre 1er, Livre X)

Ce que l'on pourrait prendre pour du mépris – et qui n'en est pas réellement – s'étend aussi à l'ensemble de ses contemporains, toutes classes sociales confondues. Là, Fielding déploie son meilleur talent : l'ironie, un grotesque hilarant parcours les presque mille pages de son récit. Surtout au moment du périple de Tom Jones, accompagné de Partridge. Un grotesque qui semble tenir de Cervantès, et qui se manifeste de façon plus abondante chez Fielding. Fielding a également été une grande source d'inspiration pour rien de moins que Dickens et Thackeray, et l'on comprend pourquoi. L'ironie est parfois assez cruelle. L'un des chapitres (dont il y aurait beaucoup à dire aussi) a pour titre : « Recette pour regagner l'affection perdue d'une épouse, recette que l'on n'a jamais vu échouer, même dans les cas les plus désespérés. » Quand on pense que la recette en question consiste précisément à la mort de l'époux… ! Oui certes, parfois il est assez caricatural. Et le contraste frappe d'autant plus que les deux personnages principaux, Tom Jones et Sophie Western, sont des exemples de vertus que l'on aurait peine à croire possibles. Encore que Tom Jones… mais Sophie. Ce n'est peut-être pas étonnant quand on sait que le modèle de Sophie était Charlotte Craddock, l'épouse de Fielding, morte avant l'écriture de Tom Jones. L'amour de Tom Jones pour Sophie ressemble parfois à une dévotion très pure.

Mais ce qui m'a plu le plus, c'est d'avoir cette multitude de personnages qui semblent avoir leur vie propre. Comme autant de jouets aux petits mécanismes finement articulés par l'auteur, une comédie humaine aussi drôle que grave. Fielding verse dans la caricature, ces personnages en deviennent franchement adorables, il serait vite dit que Fielding méprise réellement ses contemporains. L'époque, par contre, c'est beaucoup moins évident : certains agissements, sont de l'ordre de la contrainte – vis-à-vis des femmes notamment – la plus violente, mais c'est assez choquant et assez triste de constater que cette image reflète encore la réalité d'aujourd'hui.

"Il se trouva (ce qui n'est pas très rare) que le guide qui s'était chargé de le conduire ne connaissait malheureusement pas la route ; aussi, ayant manqué le bon chemin en ayant honte de demander des renseignements, il fit et refit plusieurs fois la route jusqu'à ce que la nuit vînt et qu'il commençât à faire sombre. Jones, soupçonnant ce qui était arrivé, fit part de ses craintes au guide ; mais l'autre affirma qu'ils étaient sur la bonne route, ajoutant qu'il serait bien étrange qu'il ne connût pas la route de Bristol ; quoique, en réalité, il eût été beaucoup plus étrange qu'il la connût, n'y ayant jamais passé de sa vie."
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