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Citations sur Koinè (11)

Les plateaux en avaient entendu parler, de notre petite gelée. Deux heures après ils télégrammaient pour savoir si on avait besoin d’approvisionnement en bouffe ou en énergie. Pour la forme, surtout. Pour se dire que quelque chose encore nous relie, autre que les trains qui s’échouent sur nos quais avec leur charge de paumés fébriles. Que la Ville est plus qu’une centrale de retraitement des gens usés. Mais on a pas besoin d’eux, on fait très bien sans. Ils le savent, on le sait. On a des bonnes surfaces de production ici, pas un toit plat sans son potager, sa ruche, son champ de panneaux. N’empêche, ils prennent des nouvelles des fois, de loin en loin, on sait jamais. La plupart, ça doit faire depuis la révolution qu’ils ont pas foutu les pieds dans la Ville, alors forcément, ça tient un peu du fantasme. Y avait qu’à lire le Texte hier soir, on les tenait plus. Au moins deux cents plumes se sont mises à élaborer toute une arborescence consacrée à une romance rebondissante entre une Louise Michel butch et une écopythie au coeur pur, dans une métropole glaciaire attaquée par des aliens, non des dragons, non une conspiration secrète, et puis évidemment les protagonistes des autres branches ont fini là-dedans au bout d’un moment et ça a reconvergé, avec l’inévitable fil parallèle chaud comme la braise où tout le monde finit par coucher avec tout le monde pour la plus grande joie générale. Je dois dire, les premières fois enflammées avec débat sur les modes d’organisation autonome sur l’oreiller encore tiède, on fait pas mieux.
Kimia aurait adoré tout ça.
Elle avait qu’à être là, hein.
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Je pourrais meubler le vide. Je les laisserais parler et je partirais, une ultime fois, m'injecter trois chapitres de romance musico-parfumée dans chaque narine. Une histoire de soldat abîmé par la guerre et d'escroc à la petite semaine qui se réfugient ensemble dans un sous-sol pendant une catastrophe naturelle et s'abandonnant à la passion dévorante qui les électrise. Je voudrais m'abîmer, me soûler d'amour fictif jusqu'à mourir, laisser pour de bon mon œuvre me survivre, la délivrer de moi comme elle m'a libérée d'elle, boire et manger tous mes livres d'une seule infinie gorgée, jouir de leur goût de miel dans ma bouche et de leur amertume dans les entrailles.
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Aucun projet politique ne peut changer fondamentalement la nature humaine. C'est étrange qu'à travers les siècles on ait eu si peur de ça. Si des siècles de domination n'ont pas eu raison de tous les élans généreux et altruistes, du dévouement, de la bonté, comment est-ce que quinze toutes petites années d'égalité et de justice auraient effacé les sursauts du chagrin, de la solitude, de la violence et du dégoût ?
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Des profondeurs de la mer remontent, dans les matins inquiets, des remugles, des carcasses d'affirmations. Tout ça ne peut pas marcher. C'est irréaliste. Il y aura toujours des problèmes. Ce n'est pas possible. Parfois ces phrases refluent jusque dans nos voix. C'est normal.
Aux solistes, le Choeur répond, tendrement :
Parce que le monde que nous avons laissé sous l'eau, il était réaliste ? Il n'avait pas de problème ? Il marchait ?
Bien sûr que nous sommes traversés des lignes du doute, du désaccord, du désespoir parfois. L'utopie que nous avons bâtie n'a pas aboli pour toujours le chagrin, la violence et le vertige. Elle n'a pas garanti le bonheur universel et sans faille.
Il y a de l'or et de la lumière, pourtant, à fondre dans ces fêlures.

p.41
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Chambre 3. Une jeune femme seule, les yeux jamais posés sur rien, la bouche et les mains ouvertes comme une Ophélie noyée. Sort tout le temps, rentre à pas d’heure mais déjà dehors quand je toque à la porte pour lui demander si elle souhaite que je fasse l’entretien le matin. Chambre 17. Bébé génie des réseaux, agenre comme quasi tous les mômes qui ont eu la chance de grandir après la floraison, avec la panoplie flippante des hackers de milice. Sort jamais, squatte la connexion, accepte à contrecœur dix minutes de ménage une fois par semaine. Chambre 4. Lui, il doit tutoyer la soixantaine, et il a la beauté fiévreuse des prêtres et des amants monstrueux, ceux qui hantent les cathédrales et les opéras après avoir brûlé trop vite leurs stocks de prières. Se balade partout dans la pension sauf dans sa piaule, prend en silence son petit déjeuner dans le réfectoire à l’heure où il se déserte, parle avec les chats dans la cour mais avec moi jamais. Parfait. Je tiens pas à discuter. Je suis pas Kimia, moi. Ils s’en rendront compte bien assez tôt. Elle – elle, elle s’était rendu compte de tout, tout de suite. Mais elle est plus là pour raconter. Alors je m’occupe. J’ai assez de boulot à faire et défaire le puzzle des pensionnaires, à me balader sur l’échiquier de leurs détresses, défigurer les noms, réécrire les visages. Parce que personne, personne, ne revient dans la Ville sans bagages.
Il leur faut juste un endroit où aller après. Faudrait. Pas à moi de savoir où. Si je savais, hein… Moi, je suis l’endroit où ils sont maintenant. Le réceptionniste dont ils ignorent le nom. Un genre d’ancre, si l’on considère que même le Titanic a besoin d’une ancre. Le temps qu’il faudra. Le temps qu’il reste.
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Il a gelé sur tout l’est de la ville hier, cinq bonnes minutes à moins 30, de la Perspective à l’Agora. Tout de suite les riverains ont afflué autour de la permaspirale commune. Vite, vérifier les paillis, les cloches, les lampes à bourgeons. On a l’habitude, pourtant, on sait qu’elles tiennent le coup nos spirales, elles sont conçues pour ça, mais il y a des réflexes qui demeurent encore, quinze ans plus tard. Même ceux qui étaient pas sortis de leur thurne depuis des semaines, on les a vus passer, donner un coup de main symbolique. Toute la ville ou presque, trois mille têtes penchées sur la grande spirale à cajoler les racines et rassurer les pousses. Des mains inquiètes, incertaines, qui se raccrochent aux racines qu’elles peuvent. Côté ouest, passé la Citerne, pluie tiédasse de mousson flemmarde, pas un pélo dans les boulevards. Puis, comme toujours, ça s’est calmé comme c’était venu.
Moi, j’ai pas foutu les pieds dehors, faut pas déconner. Autre chose à faire. C’est l’avantage de tenir la réception : on a des prétextes. Qui débarquent leurs valises sous le bras et des poches sous les yeux. Là c’était royal, j’en avais trois, trois nouveaux résidents qui se sont pointés la semaine dernière. Mais même avant, même les mois où la pension est restée vide après qu’on a perdu Kimia, je sortais plus. Faut bien tenir ses engagements. Je participe, hein, attention. Je fais mes quatre heures quotidiennes de travail, comme tout le monde. Sous-sol de la ville. Retraitement des eaux usées. Là-dessous, quand t’es volontaire, personne te demande de comptes, du moment que ça fonctionne on te réclame pas les détails. J’ai un accès direct, une trappe, depuis les caves de la pension. Quitte à pas pouvoir me barrer, autant aller au bout de l’idée. Finalement, c’est de là que j’ai la meilleure vue sur la ville. En contre-plongée. J’en profite pour faire de la veille vétérinaire sur les quelques bestioles souterraines qui ne se sont pas carapatées vers la campagne en même temps que les humains, les rats plus ou moins mutés qui vivent leur meilleure vie maintenant qu’on est plus là pour les emmerder. J’assure le quart du petit matin, entre quatre et huit. Ce que je fais après ma journée, ça vous regarde pas. Je me suis pas terré dans cette planque depuis toutes ces années pour répondre à des questions indiscrètes.
Avec les trois nouveaux, les vingt thurnes sont à plein quasi. Certains de passage pour une paire de nuits dans les chambres libres, d’autres installés là depuis des mois ou des années, dans leurs appartements, en attente de quoi, même eux l’ignorent. Leurs contours flous se croisent et se touchent, un cirque bleu pétrole de poètes, de savants fous, d’ex-marins atterrés, de funambules et de fantômes. La plupart en pension complète. Sauf les nouveaux, donc.
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Je sais, depuis un moment maintenant, depuis que je passe toutes mes heures libres à errer dans les rues, que je suis pareille aux vestiges. Emmêlée de lianes et hantée d'oiseaux. Fragile et salée.
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C'est seulement

après

la conquête du pain

que peut s'accomplir enfin, en chaque âme,

(le chant l'espère de toute sa ferveur)

la conquête du plein.
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Ta vie, comme Koinè, est en forme de tore. Construite autour d'une absence.
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Le nom surgi d'autrefois colmate les vannes de sa mémoire pendant un instant. Plus rien ne coule. Puis le souvenir, sournois, s'immisce et sourd, promesse de sources qui sont autant de sables mouvants.
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