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Critique de SerialLecteurNyctalope


Une claque. Diana Filippova met une claque aux clichés et à la généralisation de tout un peuple. Être née russe n'implique pas d'envoyer des bombes sur une population. Tout comme être français n'implique pas d'avoir été collaborationniste ou colonialiste. L'autrice, dans cette nouvelle collection « Itinéraires » chez Albin Michel, sans langue de bois, revient sur son enfance et les événements marquants de sa vie en tant que femme née en Russie. Tout du long, elle a du s'excuser ou presque à chaque intervention d'un gouvernement étatique. Pourtant, sa position est claire depuis le début : elle ne cautionne rien. Comme un boomerang jeté à la face, comme une stigmatisation permanente, elle est le bouc-émissaire d'une situation qui dépasse les frontières. La déclaration de guerre récente envers l'Ukraine n'aidera en rien.

D'une grande richesse, l'ouvrage questionne, interroge, interpelle et convoque nos propres identités et nos perceptions trop faciles de « l'étranger ». Celui qui évoque le pays du mal, du moins, sur un temps donné. En cette matière, tout change rapidement, passant du démon à l'ange et vice-versa. L'Homme a souvent la mémoire courte. À travers son Histoire et ses dirigeants, la Russie a usé de tous les vices existants : censure, discrimination, racisme d'état, homophobie, antisémitisme, contrôle de la presse, vengeance, violences, guerres incessantes, occupations de territoires : le programme est vaste. À croire qu'une todolist était prévue en amont. Entre communisme historique et démocratie déguisée, Diana Filippova tente de trouver des clés à travers sa propre histoire et en cela que le livre en devient vertigineux. Depuis son arrivée en France, elle essaie de gommer ce qui la lie à son pays d'origine, pour s'en délester, pour s'en absoudre.

« J'ai cherché par tous les moyens à m'en laver, comme on frotte ces taches de sui qui malgré l'effort continuent de souiller la peau de leur mine pellicule grasse ».

Elle démythifie la Russie qui n'est plus celle de Pouchkine ou de tous ces écrivains qui ont réussi à écrire leurs chefs d'oeuvre quand ils étaient à l'étranger. On y découvre les « handicapés du groupe cinq » entre désunion et réconciliation d'une femme aux confins de son identité. « Russéité ». Comme un couperet pour celle qui avait gardé bien peu de liens avec ce pays et qui n'y retrouvera que deux fois en dix ans et qui ne souhaite plus garder le silence. Diana Filippova écrit la difficulté et les affres qui ressurgissent sur « l'étranger », sur cette volonté d'effacement identitaire qui gratte et ronge à l'os. Elle écrit la dureté d'un régime qui souhaite ne faire que des copies conformes, des petits soldats qui rejettent en bloc le mea culpa et l'humilité. Avec un talent de conteuse inestimable, elle écrit aussi le pouvoir inexistant de nuisance des poètes d'aujourd'hui, l'absence d'altérité, culte de la personnalité et l'endoctrinement des enfants.

«  Un jour, la dissuasion sera tellement ancrée dans la peau du peuple qu'il en naitra des petits êtres à la bouche déjà cousue ».

En convoquant une multitude d'écrivains comme Philip K.Dick, George Orwell, Emmanuel Carrère, Marina Tsvetaïeva et bien d'autres, Diana Filippova nous offre des moments de respiration et de lucidité sur un pays affublé de légendes. Si vous deviez lire un livre sur le sujet : il s'agira de celui-ci.
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