Comment fait on pour s'éviter l'usure, le cynisme, l'apathie quand le peuple plie et s'agenouille devant l'autorité, consentant comme un cornouiller qui ne capte plus de rêves ?
La mémoire se cultive comme une terre. Il faut y mettre le feu parfois. Brûler les mauvaises herbes jusqu'à la racine. Y planter un champ de roses imaginaires, à la place.
J'oublie un moment la politesse de la jeune fille rangée, les règles de bienséance et de civilité. Fini, les soupers de famille où l'on évite les sujets chauds, où les tabous brûlent la langue et l'autocensure coince comme une boule au fond de la gorge. Crachat retenu. Chakra bloqué. Statu quo avalé.
Ma cabane. Quelques planches dans le bois. Un petit prisme rectangulaire. Une boîte de Pandore. Je n'ai jamais vu les choses aussi clairement. Posé sur ma vie d'avant un jugement aussi net. Sanctuaire de neige, merci. Je suis confrontée à toutes mes bibittes, mais j'ai retrouvé ce qui est si facile d'échapper...l'espoir.
Inspire, expire. Mon coeur va lâcher. Rire démonique dans la nuit, comme un appel. Inspire, expire. Je n'ose pas bouger d'un poil. La sueur coule le long de mon dos. Leurs cris résonnent tous azimuts. Les coyotes encerclent mon refuge, me rappellent ma petite princesse. Leurs yeux d'affamés dansent comme les lampions d'un cimetière. Je ne pensais jamais un jour flatter autant un fusil. De l'autre côté de la vitre, les coyotes gagnent la rivière. C'est ici, leur traverse marquée de phéromones, leur autoroute millénaire qui serpente dans la forêt. Et moi, j'ai peut-être bien seulement halluciné qu'ils voulaient ma peau, alors qu'ils avaient simplement envie de lapées d'eau. Cherchez l'intrus. Au fond, c'est moi.
« La mémoire se cultive comme une terre. Il faut y mettre le feu parfois. Brûler les mauvaises herbes jusqu'à la racine. Y planter un champ de roses imaginaires, à la place. » Anne Hébert, Kamouraska, Paris, Éditions du Seuil, 1970, p.75
Je n’ai pas besoin de montre, d’assurances, d’hormones synthétiques, de colorant à cheveux, de piscine hors terre, de téléphone cellulaire plus intelligent que moi, d’un GPS pour guider mes pas, de sacoche griffée, de vêtements neufs, d’avortements cliniques, de cacher-cernes, d’antisudorifiques bourrés d’aluminium, d’un faut diamant collé sur une de mes canines, ni d’amies qui me jalousent. De toutes ces choses qui forment le mirage d’un vie réussie. Consommer pour combler un vide tellement profond qu’il donne le vertige. S’accrocher à des bouées de masse. Se peindre des masques de clown triste. (p30)
Ma seule caresse ce soir sera celle d'une débarbouillette.
(..)
Après combien de nuis d'insomnie crève t'on de fatigue ?
En parlant de crever, cette pile de gribouillages sera t'elle mon seul legs à l'humanité ?
(...)
Et mon amie de l'autre côté du mur, un squelette sur soluté. Et moi sans solution.
Ai je perdu la force de me battre ou est ce ma situation de survie qui entraîne une forme de repli sur soi. Que perd on exactement lorsqu'on abandonne, papa ?
Les engelures font mal comme les peines d'amour. page78