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Critique de berni_29


Il est plus aisé pour moi de chroniquer un roman qu'un essai. Cependant, j'ai beaucoup aimé ce livre malgré les écueils de la lecture d'un texte complexe et, sans tomber dans le travers de vouloir en faire un résumé, je vais essayer de faire un pas de côté pour vous exprimer les raisons pour lesquels ce texte m'a inspiré.
Ci-gît l'amer porte un sous-titre Guérir du ressentiment, et toute la portée de cet essai réside dans ce sous-titre. Cynthia Fleury est à la fois philosophe et psychanalyste. Spécialiste du soin, on a beaucoup entendu sa parole dans les médias durant la crise sanitaire que nous vivons encore.
J'aime beaucoup entendre sa parole.
Le soin bien sûr s'invite dans cet essai, j'y reviendrai.
Mais lorsqu'on parle de ressentiment, de quoi parle-ton au juste ? C'est un mal insidieux qui touche la personne qui le porte, et qui fait mal à son tour aux autres. On pourrait même parler de maladie. C'est un mal qui s'installe durablement à la différence d'une colère qui est plus spontanée et impulsive, le ressentiment est un mal qui se mâche, qui se remâche, qui tourne en boucle...
C'est comme une haine, un sentiment de défiance exacerbée ou d'envie, pire que la jalousie, parce que dans la jalousie on admire l'autre sans vouloir le détruire pour autant. Dans le ressentiment, l'autre est méprisé, devient l'ennemi qu'il faut détruire de manière symbolique ou physique.
Le ressentiment s'inscrit dans le temps et crée des fractures qu'on ne soupçonne pas.
J'ai aimé cette manière d'aborder ce thème du ressentiment sous l'angle de la personne et sous l'approche collective. Bien sûr, Cynthia Fleury aborde ici les régimes fascistes ou fascisants, rien d'étonnant ici depuis Étienne de la Boétie qui nous disait 450 ans plus tôt : « Les tyrans ne sont grands que parce que nous sommes à genoux. » Cynthia Fleury nous confirme bien que les leaders en dictature assoient aisément leur pouvoir, non pas par grâce à leur charisme ou leur puissance, encore moins grâce à leurs compétences puisqu'elles sont inexistantes, mais par la simple frustration du peuple. D'un point de vue paradoxal, nos démocraties imparfaites et toujours en réalisation ne sont pas en reste, exacerbent le ressentiment. Pourquoi ? Parce que les inégalités en démocratie apparaissent injustes, comme des promesses non tenues. Rajoutez à cela les réseaux sociaux en caisse de résonance et vous obtenez là un beau terreau pour faire germer les ressentiments.
J'y ai vu quelques clefs intéressantes de lecture des maux de notre société à quelques mois des élections présidentielles où les ressentiments seront forcément exacerbés et récupérés par les candidats des extrêmes. Cela commence déjà, cela ne vous aura pas échappé, n'est-ce pas ?
C'est bien beau de parler du mal et Cynthia Fleury en parle bien, jouant de ses deux casquettes, la philosophe et la psychanalyste. J'avoue avoir un faible pour la philosophe, mais c'est intéressant de voir comment l'un vient nourrir l'autre. C'est bien beau de parler du mal, et si l'on parlait du remède, du contre-poison, de l'antidote ? Cynthia Fleury en parle tout aussi bien et de manière plus intime, j'ai été plus réceptif sur cette dimension.
Le remède paraît simple, si simple, trop simple. Bien sûr j'y crois sinon je ne pense que j'aurais écrit cette chronique, ni même lu ce livre. J'y crois, même si au fond de moi une petite voix obscure me dit au loin que c'est vain d'y croire, que cela ne changera pas le monde, ni les gens, que c'est une mission impossible. Allez ! j'y crois quand même et c'est tellement facile de l'exprimer ici, peut-être naïvement, vous en jugerez.
Bien sûr, ce livre regorge d'antidotes. Cynthia Fleury nous dit tout d'abord qu'il faut accepter le ressentiment, l'accueillir comme une épreuve pour mieux le combattre.
Le ressentiment, on ne doit pas le nier, mais le prendre à bras le corps, en faire quelque chose, pour le remplacer.
Ne vous êtes-vous jamais posé la question : et si c'était possible de revenir en arrière ? On ne peut pas revenir en arrière, les choses ne se réécrivent pas, les choses ne se réparent pas. Nous ne réparons pas ce qui s'est cassé en nous. Nous créons quelque chose de nouveau, faire advenir quelque chose de nouveau, tisser un nouveau récit qui va nous éloigner de la peine. Nous ne sommes pas des ordinateurs.
Le ressentiment, il faut l'accepter, on va en faire quelque chose, par la sublimation, la culture, l'éducation, le soin, ce sont les forces de sublimation qu'il faut réactiver dans notre démocratie.
Le soin, l'empathie, l'écoute, le soin au sens de prendre soin de la capacité de sa réaction, venir accompagner l'émergence de quelque chose, et faire en sorte qu'un sujet redevienne une puissance d'événement et de créativité. Justement la créativité est un magnifique antidote.
Prendre soin par la parole, par le non-verbal, par la simple présence, en faire quelque chose, le début d'une résilience possible.
L'attention à l'autre, l'amitié, l'admiration, l'éducation, la culture, la sublimation...
Une rencontre. Des rencontres.
Redéployer son corps.
Le mettre en accord avec le reste du monde.
Prendre soin par la parole, par le non-verbal, par la simple présence, en faire quelque chose, le début d'une résilience possible.
Chacun peut trouver son équation dans la sublimation en utilisant toutes ses potentialités.
Les passions tristes sont constitutives de la vie, de nos vies, il ne faut ni lutter, ni se laisser totalement submerger, engloutir...
La poésie est une forme de sublimation. Cynthia Fleury évoque la poésie de Rilke, sa découverte a été un choc pour elle, un pont, une possibilité d'attraper quelque chose, de cranter avec le monde, avec les livres.
Et puis elle ouvre un chapitre qui fut pour moi une magnifique rencontre, une découverte, celle de Frantz Fanon, psychiatre et militant anticolonialiste dont le parcours est un magnifique chemin de sublimation.
J'ai aimé aussi le propos de ce livre parce qu'il est un respect, un amour des singularités.
Récemment, sur une radio publique, - France-Inter pour ne pas la citer, Cynthia Fleury disait : « le soin est le premier geste politique, il nous permet d'habiter le monde. »
Je trouve cette citation fort belle et je voudrais conclure ma chronique par cette ouverture magnifique.
Habiter le monde.
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