Dans notre société, où la norme est la réalisation de soi et l'impératif de vivre avec un maximum d'intensité et de sensations, il arrive en effet que l'individu ne se sente pas à la hauteur de l'injonction qui lui est faite de "réussir sa vie".
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Alors que, jusqu'au seuil des années 1970, un futur chargé d'espoir pouvait collectivement être entrevu à travers des idéologies d'émancipation, l'actuelle désaffection des utopies laisse place à un présent qu'il s'agit de conquérir personnellement à partir de ses propres ressources. Or, l'écart vécu entre l'idéal de lui-même et ce qu'il constate être vraiment le décoit dans bien des cas. car si parvenir à ses expérences n'est pas donné à tous, "faire le deuil" de ce que l'on croyait devenir ne l'est pas davantage ...
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Comment reconquérir l'estime de soi, telle est sans doute la grande question posée à la démocratie adulte, la grande question politique.
Le défi que tout régime politique doit tout simplement relever est celui de la cohérence.
L'opération (virtuelle ou réelle) qui consiste à mettre en présence des communautés culturelles différentes, ou encore à éffacer leurs frontières physiques, ne permet plus d'instaurer entre elles le dialogue. Bien au contraire, plus les distances géographiques se réduisent, plus les distances culturelles s'accroissent - jusqu'à provoquer des conflits entre communautés.
Comment, en effet, ne pas sombrer psychiquement quand on vérifie chaque jour l'écart grandissant entre ce qu'on nous demande de faire et ce à quoi nous croyons ?
On peut changer les institutions, mais pas l'homme.
Avec l'identité culturelle relationnelle, on est moins dans l'affirmation de soi que dans la recherche d'un mode de cohabitation où les différentes collectivités, au-delà de la reconnaissance de leurs spécificités mutuelles, admettent l'adhésion à certaines règles pour transcender leurs différences.
Si l'individuation est un principe qui ne concurrence pas celui de cohésion sociale, l'individualisme est, au contraire, un principe qui rentre en contradiction avec elle. En France, les quelque soixente millions d'individus ne forment plus une nation mais correspondent à autant de micro-états souverains, inaptes au partage comme à la négociation.
On peut changer les institutions, mais pas l'homme.