Les photos qui jadis couvraient les murs des pièces communes de Yarrow Street avaient été rentrées de force dans cette unique chambre, produisant un effet voisin de celui des photos de stars derrière lesquelles disparaissaient les murs de pizzerias et des cantines grecques partout en ville. Chaque membre de la famille avait l'air un peu plus important que dans la vie.
Combien de fois faut-il entrer en collision avec le paranormal pour que ça compte aux yeux d’un esprit scientifique ? Trois fois ? Douze ?
Nous vivons et mourons dans des maisons, nous rêvons de revenir dans des maisons, et prenons grand soin de réfléchir à qui en héritera à notre mort.
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Toutes ces pensées s’entrechoquaient dans sa tête, et il eut envie de laisser tomber, de prendre sa retraite anticipée, vendre sa maison et déménager là où il serait unique, pas un parmi treize. Il ne voulait plus consacrer son existence à ces gens-là.
il avait gardé en tête une image cristallisée de sa mère à une époque spécifique de sa propre vie, et ne parvenait pas à la réconcilier avec sa réalité du moment.
La maison de Yarrow Street, c'était leur mascotte sédentaire, et ses façades délabrées, les armoiries des Turner. Mais elle se désintégrait d'heure en heure. Il y avait de la moisissure dans le sous-sol, de l'amiante caché dans les murs, un garage volé. Il comprenait que tout cela menait à l'abandon. Il savait qu'il ferait mieux de partir, laisser la maison se changer en ruine, une de plus dans une ville qui en était déjà infestée.
— Y a pas d’fantômes à Detroit, dit Francis Turner.
En entendant le son de sa voix, ses enfants sursautèrent. Telles étaient les modalités de son existence dans leur vie : soudain là, au moment de son choix, son autorité posée venant accroître la masse d’air présente dans une pièce.
Dans une maison Turner en fête, il n’y avait pas de place pour la solitude.
Les maisons sont plus hantées par des humains que par des fantômes.
Dans l’East Side, justement, Mme Gardenhire écoutait la télévision mais sans la regarder. Des suricates et de gros lézards africains gambadaient sur l’écran de quarante-six pouces.
— Maman, pourquoi tu te mets en face de la porte plutôt que de la télé ? demanda David. Il y a des images superbes.
— Elles sont trop nettes, ces images. J’ai l’impression que les bestioles sont là dans la pièce.