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Citations sur Paysages (7)

Sinaia

(II)

Les montagnes font un tourbillon d'eau contre ta joue ;
tu en détaches le bouquet mouillé sur les sapins
aux genoux ployés, à la crinière de nuit,
chevaux rétifs, hennissants et captifs.
Sur les bords de l'étang aux longs cils,
je sais des rires de femmes engloutis
et des regards limpides verdis comme la terrine.
Une flamme annonce l'imminence du vide,
et le chemin cerne l'étang, comme un couteau.
Que de sang ! Le temps, le temps éclate sur le couchant ;
la forêt a ce soir la folle effervescence de la bonde.
Les cerfs ne savent rien de l'automne roux,
et dans leur sommeil, âmes de feuille aux pieds nus,
ils rêvent limiers, cors et chasseurs redoutés,
venus s'emparaient du bocage, de ses bois, de ses sabots –
et la forêt, abattue, pleure, les narines palpitantes.
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Le bourg sent la pluie, l'automne et le foin.
Le vent apporte du sable, bouillant, dans le poumon,
et les filles attendent dans la ruelle salle
le silence qui tombe sur chaque soir,
et le facteur encapuchonné, lourd et indifférent.
Des chariots pourchassés par la pluie sont passés,
et le silence sur toute chose depuis longtemps moisit.
Dans les maisons, des hommes simples parlent le yiddish.
Des oies, chaussées de jaune, longent d'un pas lent une palissade ;
écoute la pluie étouffer les réverbères à gaz,
et la feuille vieillir dans les cloches de cuivre.
Écoute le long silence gris de l'automne
et la diligence de Dorohoi qui s'approche.
De la plaine, montent, désolés, les troupeaux de bœufs,
et parce qu'ils mugissent, le cou tendu, comme s'ils tétaient –
les yeux rouges, le bourg, saisi d'effroi, mugit.
(Herţa)
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IV


De leur ancienne maison, les vieux sont sortis,
jusqu'au portail, près du grillage rongé de lierre;
dans leurs yeux un sourire d'étang de plaine, serein.
T'en souviens-tu ? T'en souviens-tu encore
Le verger jetait des pierres aux mirabelliers.
Les coings à la peau lisse, derrière les carreaux,
jouaient sur deux claviers pour échanger leurs propos.
Le divan mollissait comme une poire, mon matou,
et on était bien dans le vieux fauteuil moldave,
aux feuilles de bois toujours plus ternies par les ans.
Ils cachent si bien notre jeunesse, les albums
au fermoir de cuivre ! Le passé gît sous la lampe
et comble est le miroir au visage ridé.
Il est si long le temps depuis qu'aujourd'hui n'est plus,
stérile et languissant comme une convalescence.
Tu attends tous les soirs la même diligence
qui débarque toujours les mêmes juifs de retour.
Dans les foyers je sais des navires en partance
et des plages vers New York que l'océan charge d'os.
Un phare fait encore des signes apeurés à travers les volets ;
C'est tout. Te voici devant la claie rongée de lierre :
deux jeunes gens frappent au vieux portail. Tu es sorti,
tu as dans les yeux un sourire immobile, serein,
d'étang de plaine, en automne. T'en souviens-tu encore ?

                                             1922

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Herța



II
à Colomba

Sur le fil des sentiers, la maison est lointaine ;
le chemin est jaune de sang où les courges ont craché ;
écoute monter la betterave, le fenouil et l’oignon ;
voici, si douces à l’oreille, les sources d’eau vive,
et le matin est de neige entre nous ;
tu foules des ongles de fragrance sur quelque taupinière
et les coqs ont crié sur les blocs de soleil.
L’automne gît au cœur d’une poire juteuse et fraîche.
Les vaches suisses, au blanc tablier, mugissent.
L’aujourd’hui entre au manoir seigneurial
et claires sont les veines sur la main des légumes.
Les bœufs sous leur chapeau de paille vont au labour,
ils frottent leur sommeil inachevé contre les piliers ;
ils ont aux narines une odeur de lait et de ravin
et s’en vont pleins d’ennui susciter le sillon –
derrière la claie, où s’ouvre la nature.

/Traduit du roumain par Odile Serre
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LE SPLEEN


Dans la maison de silence, de lierre et d'ortie,
pleine du sommeil de hiboux camus, aux yeux petits,
personne ne sait quand l'automne a franchi le seuil,
quand les années se mirent à forcer les murs, pour sortir.
Une cloche sourde appelait au repas et au coucher ;
lors, son airain était déjà fêlé et se couvrait de vert-de-gris ;
je l'écoutais, la bouche contre les dalles, geindre
pour retenir le mortier et la fuite du temps.
Des matous de porcelaine, aux yeux verts, ont ronronné
le départ de ceux qui ne sont plus revenus;
mais on entendait, le soir, dans des gémissements d'accouchées,
les touches s'attarder sur les mains, comme des lèvres.
Peut-être maman est-elle ici, somnolant dans son fauteuil –
elle tricote des bas de douce laine, pour les grands-parents.
Si les pluies rousses soudainement tombaient,
elles couleraient encore dans mes membres, comme dans des gouttières,
et tu serais dans la maison seul, vide et monotone –
comme dans l'île de quelque farouche Robinson.

                                             1921
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Herța



I

Le bourg sent la pluie, l’automne et le foin.
Le vent apporte du sable, bouillant, dans le poumon,
et les filles attendent dans la ruelle sale
le silence qui tombe sur chaque soir,
et le facteur encapuchonné, lourd et indifférent.
Des chariots pourchassés par la pluie sont passés,
et le silence sur toute chose depuis longtemps moisit.
Dans les maisons, des hommes simples parlent le yiddish.
Des oies, chaussées de jaune, longent d’un pas lent une palissade ;
écoute la pluie étouffer les réverbères à gaz,
et la feuille vieillir dans les cloches de cuivre.
Ecoute le long silence gris de l’automne
et la diligence de Dorohoi qui s’approche.
De la plaine, montent, désolés, les troupeaux de bœufs,
et parce qu’ils mugissent, le cou tendu, comme s’ils tétaient –
les yeux rouge, le bourg, saisi d’effroi, mugit.

/Traduit du roumain par Odile Serre
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L'HEURE DE VISITE
                                 à Gala Galaction


Ce soir, ma tête comme une lampe
brûle les vestiges fumants de l'huile –
et quelqu'un a posé la main sur la poignée,
et quelqu'un m'effleure la joue.

En ce soir sans fin, quelqu'un
tousse en moi, crache et rend l'âme,
mais pour rien au monde je ne voudrais fuir – ni
toucher de nouveau le ciel de mes mains !

Je suis dans la chambre comme dans un train
attendant qu'un paysage brise le carreau,
et je tiens à la main mon âme solaire –
mon malheureux passeport de voyage.

Le silence qui s'est levé en moi me fait mal –
l'obscurité qui s'est levée me fait mal,
comme un sol boueux où dorment, recroquevillés,
les buffles noirs de l'inconnu.

On dirait qu'une ombre en moi a pris la fuite,
et ce soir je me sens si bien,
que j'ai presque envie d'arracher de mes mains
les orties qui ont assailli mon corps.
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