Citations sur Le silence des bêtes. La philosophie à l'épreuve de l'anima.. (53)
Ainsi Schopenhauer raconte-t-il qu’aux alentours de 1854 il allait quotidiennement rendre visite à un jeune orang-outan exposé à la foire de Francfort et qu’il avait été profondément touché par la mélancolie de cette volonté, en marche vers la connaissance de cet ancêtre présumé de l’homme ; il comparait son regard à celui de Moïse devant la Terre promise.
Nous avons un devoir d’humanité envers les bêtes. Parce que nous tenons à notre merci ces vies vulnérables et muettes nous avons une responsabilité. L’homme perd sa dignité en faisant souffrir ceux qu’il domine.
La langue latine a trois façons de nommer les êtres vivants qui respirent. Bellua signifie « bête », par opposition à « homme ». Le mot accentue parfois la grandeur, la férocité, l’inintelligence, et peut servir d’insulte : être bête, imbécile. Il est d’emploi plus noble que bestia, terme populaire, qui désigne toute espèce d’animal, sauvage ou domestique. D’un usage moins familier, pour les grammairiens et les juristes, bestia dénomme plutôt les animaux féroces. […] Animal, enfin, qui signifie « être vivant », vient d’animalis, « qui respire », lequel vient d’animans, « qui possède le souffle », ces mots traduisant le grec empsuchon et psuchè.
Il semble ainsi y avoir un élément de vie et de pensée entre Singer et Soutine : le refus, par delà l'aménagement de la violence par les règles alimentaires, de s'aveugler devant la mise à mort des bêtes.
Plutarque, porte-voix des animaux, pousse ainsi les ripailleurs dans leurs derniers retranchements. Si vous répugnez à tuer vous-mêmes la bête, leur dit-il, si vous hésitez à la manger crue et encore chaude, c'est que vous reconnaissez implicitement que vous commettez un meurtre et que vous vous en effrayez, en vertu de votre constitution innée où se fonde le droit naturel.
A ce moment du texte s'opère une transgression rendue possible par la logique des extrêmes, et sur laquelle il faut s'attarder. Le faire-rôtir et/ou bouillir, ces manières de table de l'homme civilisé et du citoyen, ne constitue pas pour Plutarque une circonstance atténuante, bien au contraire. Mieux vaut manger sauvagement et en pleine conscience du crime que de dénier celui-ci par des assaisonnements : chasseurs, sacrificateurs, bouchers, cuisiniers sont tous au même titre des meurtriers, et Diogène mangeant un poulpe cru qu'il dispute aux chiens, ne s'ensauvage pas plus, en réalité, que les convives raffinés de festins somptueux. Lui, au moins, c'est ce qu'il fait et ce qu'il veut faire : devenir comme une bête féroce. Alors que les autres, qui se croient d'autant plus civilisés qu'ils cuisinent, ignorent leur vérité.
p233 - Cuisine cruelle
Il faudrait du reste méditer sur l'impérative nécessité qui fait prononcer le nom de Dieu quand on est à bout d'arguments sur le propre de l'homme.
p200 - Le pourceau magnifique
On voit que Leroy s’en tient à un strict sensualisme. Quant à la différence de sensibilité entre les espèces, elle ne suscite pas du tout chez lui un ralliement à la théorie des différences quantitatives ou des niveaux de l’organisation, cet aggiornamento de l’échelle des êtres qui fit fureur parmi les philosophes du XVIIIe siècle.
[…] il apparaît symptomatique d’une certaine tradition –antique, certes, mais qui ne finira vraiment qu’avec Montaigne et Charron- qu’une critique de l’anthropocentrisme, qui pérennise et même prétend sauver la transcendance, en passe par l’éloge des animaux et l’abaissement de la vanité humaine.
Le Christ confond désormais, en sa personne théandrique et historique, l’offrant, le destinataire de l’offrande, le médiateur, et l’offrande même, surdéterminée par une double fonction expiatoire et communielle. Il est à la fois Dieu, victime et grand prêtre.
[Claudel, Bestiaire spirituel] "Maintenant une vache est un laboratoire vivant, (...) le cochon est un produit sélectionné qui fournit une quantité de lard conforme au standard. La poule errante et aventureuse est incarcérée. Sont-ce encore des animaux, des créatures de Dieu, des frères et sœurs de l'homme, des signifiants de la sagesse divine, que l'on doit traiter avec respect ? Qu'a-t-on fait de ces pauvres serviteurs ? L'homme les a cruellement licenciés. Il n'y a plus de liens entre eux et nous. Et ceux qu'il a gardés, il leur a enlevé l'âme. Ce sont des machines, il a abaissé la brute au dessous d'elle-même. Et voilà la Cinquième Plaie : tous les animaux sont morts, il n'y en a plus avec l'homme."
Pour Claudel, comme pour Péguy et Bergson, l'ère du machinisme et du rendement a détruit ce monde harmonieux ; et c'est par une même dérive fatale qu'il n'y a plus ni Dieu ni animaux.
p349, Repentir