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Critique de oblo


À défaut de régner, Arthur Même marche sur le pays clos de Mornemont. Morne pays duquel Arthur est le prince attitré , depuis une décision farfelue d'un antique roi, Mornemont est haché en propriétés dûment séparées par de hauts murs et de hautes grilles que possède et qu'ouvre Arthur, y gagnant là sa vie et ses misères. Car Arthur, tout prince sans trône qu'il soit, n'a pas renoncé à recouvrer son bien. En procès interminables il attaque, seul, ceux qui l'ont dépouillé, et dont il prononce les noms avec un mépris souverain. Sans personne à ses côtés, Arthur se méfie de tout et tous, exècre les chiens qui aboient, jure contre le mauvais temps qui le rendra malade, peste contre ces gens qui souhaitent sortir de chez eux à des heures indues.

Trois personnes trouvent une grâce toute relative à ses yeux. L'épicier, d'abord, qui non content de ravitailler et de délivrer le courrier, n'est jamais avare de bons mots ou d'aphorismes. le petit garçon du Bout, lecteur de Mickey Magazine, est le garant d'une innocence simple et salvatrice. Enfin, Julie Maillard, fille d'une famille honnie, dont tombe amoureux Arthur, l'ayant surprise nue, dans sa salle de bain. Fille aux amours libres et assumées, Julie suscite une adoration et une jalousie aussi violentes l'une que l'autre chez Arthur, le seul à ne pas la toucher. le huis-clos du pays clos gagne finalement une dimension internationale, lorsque le Président de la République voisine, pressentant les futurs résultats désastreux de la prochaine élection, se met en tête de trouver une porte de sortie pour lui et les siens, et une base arrière pour sa reconquête du pouvoir. Mornemont, pays en tout point fictif, y compris dans le récit, rencontre alors la grande Histoire et c'est sur l'autel de la raison d'Etat que la quête d'Arthur Même sera finalement résolue.

Ici même est un roman graphique riche, tant du point de vue du graphisme que du verbe. Quiconque connaît un peu l'oeuvre de Tardi sait les détails que l'auteur y met, et connaît le trait si particulier, volontiers appuyé et sombre, qui le rend immédiatement reconnaissable. L'esprit des deux auteurs, Forest et Tardi, plane aussi sur cette oeuvre, résolument nouvelle (par son format, par son découpage) à l'époque où elle fut publiée, et notamment sur son aspect littéraire. L'histoire un peu absurde de cet homme, Arthur Même, trouve une résonance dans les dialogues, volontiers absurdes et truculents, où l'on joue avec les mots, où l'on les prend au pied de la lettre, bien que toutes les lettres n'aient pas de pieds. Les mots, dans Ici même, ont une vie propre ; ils servent l'histoire, bien-sûr, mais ils digressent aussi, ils divaguent, ils reviennent à leurs sens premiers comme pour mieux rappeler la légèreté avec lesquels on les emploie. Tout ceci donne à la bande-dessinée une dimension poétique, conférant une profondeur à chaque case dont on peut examiner le détail graphique ou le sens littéral.

Ici même dresse le portait tragique d'un homme seul. Son quotidien est quelque peu triste, son combat est à la fois héroïque et absurde. Pour recouvrer un domaine que les infortunes familiales ont perdu, Arthur Même use de toute son énergie et de toute sa raison. Il est l'individu face à la collectivité qui le moque, qui joue avec lui comme on joue avec un pion, et il suffit que la politique s'en mêle pour que sa situation soit bouleversée. En cela, la politique est vue par son côté essentiellement machiavélique : le calcul politique, tout habillé de beaux mots et de belles intentions apparentes qu'il soit, reste tout petit. Au fil de l'oeuvre, Arthur Même, dans ce Mornemont qui est pour lui une prison, un endroit qu'il n'a jamais quitté, ainsi que le lecteur, découvrent les équilibres instables de la vie (ainsi cette détestation mutuelle entre les habitants et Arthur Même qui fondent pourtant l'équilibre de Mornemont), les amours imparfaites (la relation entre Arthur Même et Julie Maillard), les amitiés insoupçonnées (celle entre Arthur et l'épicier), tout cela formant une imperfection salvatrice.
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