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Critique de fbalestas


Voilà un très bon roman sur le thème de la paysannerie française d'aujourd'hui.

Brun et son fils Mo sont deux agriculteurs dans la Région du Jura.
Brun, le père, veuf, est un paysan à l'ancienne : productiviste, convaincu de l'intérêt des pesticides, il est toujours allé « de l'avant » en privilégiant « le progrès » comme on disait à l'époque.
Mo au contraire privilégie la nature, le bio et les méthodes naturelles pour se débarrasser des insectes ou des maladies qui peuvent affecter les cultures.
Comme on l'imagine père et fils ne sont pas du tout d'accord.

Mais l'intérêt de « Mohican » c'est qu'on comprend pas à pas pourquoi cette agriculture productiviste s'est développée : après des années où les parents de Brun devaient s'escrimer à faire vivre leurs fermes grâce à leur seule force de travail, l'arrivée de la mécanisation et de son cortège de produits attractifs (avec des têtes de mort et des toutes petites lignes comme le confirme Mo sur les bidons), tout paraissait pourtant simple.

Mieux : les paysans des années d'après-guerre étaient fiers : ils investissaient dans la terre et ses outils de production pour nourrir la France. Portés par la Politique Agricole commune, et des dirigeants caritatifs (on pense à Jacques Chirac par exemple), ils étaient heureux de pouvoir dire qu'ils nourrissaient leurs concitoyens, voire même au-delà avec la politique d'exportation du lait dans les pays sous-développés.

Las, Brun comprend d'autant moins les reproches qu'on fait aux paysans d'aujourd'hui.
Même Mo, quand il découvre une pancarte où on les traite d'é »AgriculTUEUR », voit rouge.
Le divorce avec la société d'aujourd'hui, plus soucieuse d'écologie et de produits naturels est pourtant consommé.

On pense au film "Au nom de la Terre" d'Edouard Bergeon avec Guillaume Canet. Ce film, construit comme une saga familiale rurale, d'après la propre histoire du réalisateur et de celle de sa famille, montre bien aussi le cercle infernal : investissements, emprunts lourds auprès du Crédit Agricole, nécessité d'une spirale du « toujours plus », avec ce chiffre dramatique : en France un agriculteur se suicide chaque jour.

Ici dans « Mohican » ce n'est pas le suicide qui menace Mo, mais bien la maladie qui le rattrape. Une leucémie mal détectée (il a trop attendu pour aller chez le médecin pourtant son voisin et ami), et surtout une grande interrogation qui lui tombe dessus : pourquoi moi ? Qu'ai-je fait pour mériter cela ?

Mais dans la vie Brun et Mo ne se parlent très peu. Juste ce qu'il faut pour le boulot. Et si Brun ne dit rien à son fils pour ne pas l'inquiéter, sa femme morte quelques années plus tôt d'un cancer, vient le relancer en rêve pendant la nuit …

Derrière l'artifice (un peu tiré par les cheveux), le talent d'Eric Fottorino consiste à prendre le temps de bien camper ses deux personnages principaux pour bien nous faire comprendre leur histoire et donc leur vie d'aujourd'hui.

Intervient alors, à ce moment du récit, un autre phénomène un peu surprenant : Brun est très tenté par l'installation d'éoliennes sur son exploitation dont un promoteur qui lui vente les mérites.
Mo est contre, bien sûr, mais en tant que fils, il n'a pas droit au chapitre. Et avant que Brun succombe à sa leucémie, il aura eu le temps de signer le contrat qui va engager sa ferme dans de très importants travaux de déblaiement, pour acheminer les mâts gigantesques et leurs pâles associées sur un véritable paradis naturel sur lequel régnait (comme on le verra à la toute fin) la famille depuis des lustres …

Eric Fottorino a des accents lyriques quand il décrit (très bien sans doute) la campagne environnante. Mais on sent bien que ce dont il parle, ici au coeur du Jura, est en cours de disparition.

S'en suit un long réquisitoire anti-éolien qui m'a laissée perplexe.
Sans parler politique (ce n'est pas le lieu ici sur Babelio) mais en restant sur le champ littéraire, l'auteur porte la thèse, défendue par Mo et son oncle un peu spécial nommé Isidore, que les éoliennes sont une catastrophe pour les prairies où elles vont s'implanter. Surtout quand elles ont des mètres de hauteur, et qu'elles fauchent au passage des oiseaux migrateurs.

La fin du récit, qu'on ne dévoilera pas pour ne pas divulgacher le plaisir du lecteur, redonnera raison à Mo et à son oncle Isidore, dans une « happy end » salvatrice. Si la ficelle est un peu convenue pour terminer le récit, il n'en reste pas moins que « Mohican » (comme on surnomme Mo à la fin de l'histoire) est une véritable ode à la paysannerie française, très bien documentée, et qui nous fait voyager dans les contrées jurassiennes à la découverte d'un petit coin de paradis.

Un très bel éclairage sur une véritable question de société qui met en lumière le monde paysan mieux que ne sauraient le faire les documentaires disponibles sur le sujet, parce qu'incarné par deux belles personnes.

A lire et faire lire sans modération donc.
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