AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
4,07

sur 306 notes
5
28 avis
4
31 avis
3
7 avis
2
2 avis
1
0 avis
Brun a voué toute sa vie à l'exploitation de ses terres du piémont jurassien. Désormais malade et proche de la mort, lui qui s'est toujours enorgueilli de sa modernité, a l'idée d'y faire implanter des éoliennes pour sauver son exploitation de la faillite et la transmettre à son fils Mo. Celui-ci se retrouve confronté à un chantier titanesque, en passe de défigurer les paysages qu'il aime tant et de détruire le fragile équilibre naturel de ces lieux.


A travers Brun, c'est un siècle de paysannerie française qui défile sous nos yeux : un siècle qui a soudain métamorphosé notre ancestrale relation à la terre, dans une course au progrès et au rendement destinée à accompagner la croissance économique et démographique. Remembrement, mécanisation, usage intensif des produits phytosanitaires : l'optimisation des rendements et les efforts pour s‘affranchir d'une partie des aléas naturels ont ouvert des perspectives inédites pour l'alimentation du monde. Mais, pour tous les Brun entraînés dans une perpétuelle course en avant, bientôt pris en ciseaux entre le gouffre sans fond de leur endettement et l'interminable chute des cours mondialisés, c'est un progressif étranglement qui, lentement mais sûrement, a clairsemé leurs rangs, semant au passage son lot de suicides et de drames. Pour se maintenir à flot, Brun et ses semblables ont dû rompre le pacte millénaire de l'homme avec la terre, le végétal et l'animal, avant de tardivement s'apercevoir que leurs pratiques d'apprentis sorciers ont fini par bouleverser de complexes équilibres.


L'écriture tout en finesse et en délicatesse teinte d'une poignante mélancolie la mémoire d'un vieil homme parvenu au bout de ses désillusions après avoir tant cru au progrès. Dans un Jura âpre et magnifique qui vaut au récit de somptueux passages, cette vie qui s'achève sans rien vouloir céder, dans un ultime baroud d'honneur tendu vers la transmission au fils unique, prend des accents de vérité dans les moindres détails de la narration. Et c'est avec une tendresse toute révérencielle que l'on assiste au passage de relais entre le père, déclinant mais lucide, et le fils qui s'astreint à ravaler sa rébellion par affection. Malgré leurs divergences de vue, les deux hommes ont en commun les morts qui leur sont chers et un attachement viscéral à une lignée et à une terre qui ne font plus qu'une. Alors, à travers Mo et grâce à la conscience de son enracinement, peut-être l'histoire poursuivra-t-elle son cours, vers un avenir plus sage et plus humain.


Ses peintures majestueuses du Jura, ses personnages d'une parfaite authenticité et sa justesse de réflexion entre désillusion et espoir font de ce roman à l'écriture ciselée un moment de lecture aussi magnifique que poignant, en même temps qu'un vibrant hommage à nos racines paysannes.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
Commenter  J’apprécie          11517
Se distanciant des comédies caustiques et humoristiques qu'il écrit depuis trente ans, Eric Fottorino, ancien directeur du quotidien le Monde, reprend sa plume de journaliste et publie son enquête sur les dégâts irrémédiables générés par la prolifération des éoliennes.

Tragédie en cinq actes, Mohican met en scène les Danthôme, des jurassiens qui cultivent depuis des générations leur ferme des Soulaillans.

- Déluge, premier acte, montre Brun, 76 ans, récapituler son existence qui en deux générations a transformé ce paysan en agriculteur adepte de la modernité (coopératives, engrais, rendements intensifs, tracteurs, syndicalisme agricole) puis en agricultueur (désherbants, fongicides, insecticides, fongicides). Suzanne, son épouse, est morte assassinée par les épandages qu'il a commis, juché sur son tracteur Little Boy, tel un pilote d'avion bombardant au napalm.

- Désert, décrit les effets mortifères de la politique agricole subventionnant les fermiers qui laissent en jachère leurs terres sans se soucier de la faim dans le monde et les ruine en imposant des prix de cession insuffisants. Asphyxié financièrement, Brun succombe au discours commercial d'un promoteur d'éoliennes avant de mourir d'un cancer.

- Destruction montre les bulldozers monter à l'assaut des Soulaillans, raser les sentiers et les haies, retourner les terres, couler des milliers de tonnes de béton, les grues dresser les pylônes, les nacelles et les pales, puis les câbleurs tirer les lignes électriques reliant les aérogénérateurs au réseau électrique. Chaque structure pèse 1200 Tonnes, écrase le sous sol, détruit les irrigations et assèche les nappes phréatiques. Les pales se révèlent être des armes de destruction massive pour les oiseaux, le bruit et le rayonnement des câbles électriques tuent progressivement la bétail et Mo, le fils de Brun voit ses vaches, ses moutons, mourir comme celles des voisins. Mo se révolte et aidé par son oncle, ancien soldat en Algérie, retrouve des caisses parachutées durant la guerre pour les résistants … « Le Mohican des Soulaillans » connait alors son heure de gloire.

- Délivrance permet à Monika, archéologue helvétique, de dévoiler les dessous des Soulaillans, de déterrer les traces laissées par dix mille ans de vie humaine, de révéler le travail multi-séculaire d'essartage des forêts, d'assèchement des marais permettant à des générations de Danthôme de passer de la cueillette et de la chasse, naturellement aléatoires, à la culture. Les trouvailles archéologiques rendent les Soulaillans inviolables et autorisent Mo à poursuivre, sur les pas de ses ancêtres, une agriculture biologique respectueuse de la nature, de sa préservation et de sa transmission aux générations suivantes.

- Demain (?), le cinquième acte, que l'auteur laisse au lecteur le soin d'écrire, voit Mo et Monika fonder une famille et naitre une génération assurant la pérennité des Soulaillans …

Cette tragédie, fort classique dans sa forme et ses évocations des Géorgiques de Virgile, m'a passionné et pas seulement parce que les éoliennes ont bousillé l'horizon de Baume Les Dames, paysage que je partage avec les Danthôme.

C'est, à ma connaissance, la première fois qu'un écrivain français, qu'un journaliste « de référence », montre concrètement les drames résultant des éoliennes qui sont tout sauf les innocents moulins à vent que nous promettent nos financiers et nos politiques qui projettent de déployer 36 000 aérogénérateurs sur nos terres et les mers du littoral en occultant leurs conséquences sur la faune, la flore, la population et le climat.

Inspiré par la nostalgie d'un Zola dans « La terre », la tradition d'un René Bazin dans « La terre qui meurt », la poésie d'un Jean Giono dans « Le chant du monde », Eric Fottorino réussit un roman magnifique et prophétique qui nous promet que Mo n'est pas « Le dernier des Mohicans » mais est le prototype du paysan de demain, garant d'un avenir frugal, naturel et sain.
Commenter  J’apprécie          9614
Immédiatement , en lisant ce titre m'est revenue en tête la lecture du fameux et remarquable " Dernier des mohicans " de' Fenimore Cooper et ce retour incertain dans un passé , hélas déjà lointain pour moi , m'a particulèrement séduit .Si les deux principaux personnages ne sont pas de la tribu des fameux indiens , ils s'en rapprochent bigrement .Derniers représentants d'un monde rural en grande mutation , on va suivre avec eux et notamment Brun , le père ,le lent déclin d'un monde agricole sinistré . Avec Brun , c'est toute l'histoire de l'agriculture de ce dernier siècle qui ressurgit sous nos yeux , qui nous donne à voir ce que fut cette activité noble réalisée par des hommes fiers , durs au mal , durs en affaires , avides d'enrichissement personnel , de rachat de terres , de remembrements quitte à vouer leur âme au diable et se trouver fort dépourvu quand arrive cette bise nommée surenchère ...dans l'usage de produits infernaux , de rendements , de concurrence ....Quand arrive aussi l'heure du grand départ pour Brun qui , pour combler les caisses va se croire obligé de livrer son domaine aux rapaces chargés de " vendre " des éoliennes ....Et MO dans tout ça , l'amoureux des terres , de la terre , des bêtes et de la nature ....?
Ce roman trés riche , ce monde du Jura rude et parfois ingrat , traduit avec une incoyable finesse ces activités rurales en cours de démentèlement et même de mort programmée .
C'est trés beau , émouvant , terriblement bien raconté au point qu'on a l'impression d'être retransporté ( moi , en tout cas , au vu de mon âge ) dans le monde d'avant dont on ne dira pas , toutefois , s'il était mieux ou ...moins bien .Je pense aussi qu'il devrait beaucoup plaire à des lecteurs plus jeunes qui pourraient , dans ces trés belles pages , dans ces trés beaux paysages , retrouver un peu de leurs racines .
Voilà , chers amis et amies , mon point de vue sur ce roman qui n'est pas un cours d'histoire sociale des paysans , mais l'histoire de l'évolution d'une famille paysanne parmi tant d'autres et une belle réflèxion sur notre propre devenir .
Et puis , sous la plume de Fottorino , tout de même!!! .
Attendez vous à vivre plein d'émotions dans cette famille patriarcale où la transmission des biens n'est pas un vain mot ....
Je pars vers d'autres horizons , le vent souffle fort , la pluie cingle les carreaux , le canapé me tend les bras ...A bientôt .
Commenter  J’apprécie          690
Sur les pentes jurassiennes s'étend le domaine des Danthôme. Des terres, des pâtures, des bois, un verger, un potager et des animaux. Un domaine dont Brun a toujours pris grand soin et auquel il tient beaucoup. Des terres qu'il a, pour certaines, données à son fils, Mo. Deux visions bien différentes de l'agriculture. Quand l'un pulvérise et traite à tout va, l'autre ne jure que par l'écologie et le laisser-faire. Mais lorsque le médecin lui annonce qu'il est atteint d'une leucémie, Brun, pour éviter la faillite et désireux d'agir contre le réchauffement climatique, va accepter le projet d'implantation d'éoliennes. Un chantier loin de plaire à son fils...

Si Brun Danthôme a voué sa vie à ses terres, il en paiera malheureusement le prix aussi. À coup de pesticides, de fongicides ou d'herbicides pulvérisés pour augmenter sa production, le voilà aujourd'hui atteint d'une leucémie. Ses jours comptés, il se lance dans un projet un peu fou : planter des éoliennes. Mo, réfractaire, féru d'écologie et d'agronomie, n'ose s'opposer à ce chantier, titanesque mais promis à de jolies rentrées d'argent. Avec ce roman âpre, dur et salutaire, Éric Fottorino nous plonge dans le monde paysan. Un secteur régi de plus en plus par la productivité, soumis à de fortes concurrences, délaissé parfois (la France compte plus d'un suicide d'agriculteur par jour) et plombé par la solitude. L'auteur défend ainsi ces hommes durs à la tache, au rythme de travail effréné mais ô combien attaché à leur terre. Avec finesse, l'auteur nous fait part du monde agricole d'avant et des souvenirs d'antan de Brun, ponctués d'une certaine mélancolie et de désillusions. Un portrait authentique, poignant et sensible sur le monde paysan, sur cet attachement viscéral à cette terre et sur les relations père/fils.
Commenter  J’apprécie          613
Que faire pour le bonheur des champs

En suivant une famille de paysans jurassiens, Éric Fottorino raconte les mutations de l'agriculture française depuis les années cinquante. Un roman qui fait suite à «J'ai vu la fin des paysans», récit-reportage publié en 2015 avec Raymond Depardon.

Brun Danthôme a 76 ans. Il aura passé toute sa vie dans sa ferme du Jura. «Il n'avait de rapport au monde qu'à travers ses terres, minces terres caillouteuses des hauteurs, fortes terres argileuses de la plaine. Sa raison de vivre était tout enfouie dans ces étendues fécondées qui portaient l'épi comme un destin vertical. Plus il se penchait sur ses sillons, plus il se sentait grand, utile, et somme toute heureux. (...) Labourer, semer, récolter, et recommencer, respirer le grand air, c'était sa vie, il n'en connaissait pas de meilleure.»
Seulement voilà, Brun vient d'apprendre de la bouche de son médecin qu'il était condamné, qu'une leucémie allait l'emporter, sans doute victime des produits chimiques qu'il épandait depuis des années, lui l'«apôtre de l'agriculture». Il va pouvoir rejoindre tous les morts de la famille, à commencer par son épouse Suzanne, morte très jeune après avoir toutefois «eu le temps de lui transmettre ce qu'elle aimait, ce qu'elle était, même si le temps fut trop court comme le sont toutes les vies quand on brûle de la passion de vivre.» Il laissera son domaine à son fils Maurice, dit Mo, qui a choisi pour sa part une autre agriculture. Une agriculture qu'il ne comprend pas, une agriculture qui ne se donne «plus la peine de remuer la terre, de casser les mottes, de déchaumer. C'était les nouvelles idées écologiques. du travail de sagouin. Il en avait mal au ventre.»
Alors, peut-être plus par provocation que par conviction, il va accepter l'offre qui lui est faite d'installer des éoliennes sur son domaine. Mo n'aura qu'à se débrouiller avec cette énergie verte et encaisser la somme rondelette qui lui est promise, même si bientôt plus personne ne reconnaitra les Soulaillans: «Mon père ne veut pas se l'avouer, pense Mo, mais nous sommes déjà morts, et lui un peu plus que les autres. Les éoliennes, c'est la dernière arme qu'ils ont trouvés pour nous éliminer, nous les paysans. Quand le béton aura éventré nos terres, quand nos paysages seront devenus des usines en mouvement, nous aurons disparu à jamais.»
On l'aura compris, cette histoire de succession permet à Éric Fottorino de retracer l'histoire de nos campagnes. de ces paysans qui, au sortir de la Seconde Guerre mondiale et à l'aide du plan Marshall, ont cru à leur mission de nourrir la planète et de produire toujours plus, quitte à utiliser des tonnes de produits chimiques, fongicides, herbicides, insecticides et autres pesticides. de ces paysans qui vont voir au fil des ans leurs revenus se réduire comme peau de chagrin et les politiques agricoles successives leur enjoindre de changer de modèle, de produire moins mais mieux, de faire plus écolo. de se transformer en producteurs d'énergie soi-disant verte.
Construit en quatre parties, déluge, désert, destruction et délivrance, le roman dresse un constat sans concession de la vie dans les campagnes. Un sujet que le romancier et directeur de presse connaît fort bien, puisqu'il a commencé sa carrière de journaliste comme spécialiste des matières premières et publié un essai remarqué en 1988 intitulé le Festin de la Terre. Mais c'est après avoir parcouru la France avec le photographe Raymond Depardon en 2015 que l'idée du roman a germé. Pour présenter J'ai vu la fin des paysans, Éric Fottorino rappelle que l'agriculture fut la première grande rubrique qu'on lui confia au Monde au milieu des années 1980. «J'y ai appris la France vue du sol, avec ses traditions et ses élans de modernité, ses gestes ancestraux et ses révolutions silencieuses, ses bouleversements profonds alliant l'exode rural à une productivité si performante qu'elle fit craindre pour l'environnement.»
Après Nature humaine de Serge joncour, couronné l'an passé par le Prix Femina, le sujet a trouvé en cette rentrée littéraire deux autres beaux ambassadeurs, Corinne Royer avec Pleine terre et Matthieu Falcone qui publie
Campagne. Tous donnent raison à Gogol, qui proclamait dans Les âmes mortes qu'«il est démontré par l'expérience des siècles que, dans la condition d'agriculteur, l'homme conserve une âme plus simple, plus pure, plus belle et plus noble.»


Lien : https://collectiondelivres.w..
Commenter  J’apprécie          603

Comment rendre hommage à ce roman, à la hauteur des émotions que M. Fotorino a, grâce à son écriture, suscitées en moi ? Il m'aura fallu plusieurs jours après avoir refermé ce livre pour mettre mot sur le bouillonnement de souvenirs que ce récit a fait remonter en moi.
Secousse affective, mais aussi saisissement de colère et sentiment d'injustice devant la lucidité terrifiante portés par le regard de l'auteur sur le monde paysan et sur la nature en général.

C'est l'heure des comptes aux Soulaillans, mais il n'est pas seulement comptable. Une vie de labeur va s'achever, celle du père (Brun) agriculteur, ou plutôt, disait-on paysan de son temps...
La nouvelle de sa maladie s'accompagne de moments rétrospectifs sur sa vie grâce à la voix de feu son épouse qui retentit à ses oreilles dans ses nuits d'insomnie. C'est la voix de cette femme disparue, emportée par la maladie, la voix de Brun ce père veuf à l'aube de partir, et celle de Mo, leur fils, qui nous content leur histoire, celle d'une paysannerie française désillusionnée.

En se plaçant à hauteur de ses personnages, Éric Fotorino nous fait rentrer dans la famille, on s'assoit à leur table, on partage leur pain, leur fatigue, leurs peurs ; on comprend soudainement, (parce que ça nous est raconté comme notre grand-père le ferait), d'où l'on vient. Toute l'histoire qui nous a précédés, parce que la terre perdure, parce qu'elle est trait d'union entre les générations, parce qu'elle est léguée avec la charge d'être agriculteur.

J'ai été terriblement émue par ce roman. Bien sûr, il évoque l'écrasement et le délitement des exploitations à taille humaine, la chape de plomb sur les épaules de l'agriculteur de la productivité, érigée en valeur cardinale, induisant l'utilisation à outrance des pesticides et toute la "gangrène" qu'elle entraîne, course à la rentabilité, jusqu'à l'implantation d'éoliennes...
Mais si le tableau dressé par l'auteur est passionnant, même si parfois un peu manichéen, moi j'ai été emportée par la petite musique derrière les paroles : "Mohican" c'est l'histoire des hommes, c'est l'amour de leur travail, c'est l'ancestralité des gestes qui se transmettent. Oui, c'est une Histoire de transmission. Et j'ai revu mon grand-père. Non, pas paysan, bien qu'il vienne de ce monde là. Nous partions nous promener à travers champs, quand il venait à la maison pour Noël. Vous savez quand le ciel est bas et cotonneux, quand l'air froid est vif et brûle à chaque inspiration ; le croassement des corbeaux résonant curieusement dans un silence presque respectueux de la nature. Et mon papy marchait sans un mot. Mon papy avec son indéfectible chapeau. Il s'arrêtait de temps à autre, il regardait l'immensité du champs, qui avait été bien labouré après la moisson. Et soudain déclare : "C'est beau une terre bien entretenue et bien travaillée". Moi j'ai 14 ans, je me tais. Je ne comprends pas trop. Oui... Beau ? Une trentaine d'années plus tard, mon papy n'est plus là pour admirer les champs. A vrai dire, les champs eux aussi ont disparu derrière chez moi. Des lotissements ont été construits. On ne verra plus la biche en lisière de forêt le matin tôt en ouvrant les volets doucement. Mais j'entends toujours mon papy. Il m'a accompagné tout au long de ma lecture.
Merci M.Fotorino de m'avoir ramenée là-bas, merci car à force d'oublier, je ne me souvenais plus...

Mohican est un magnifique roman dédié à l'amour de la terre et au sens de la transmission. La relation père- fils y tient une place prépondérante et illustre une opposition générationnelle, fondée sur deux visions divergentes du métier d'agriculteurs. Face à une exploitation de moins en moins rentable, le père, malade, pense faire un dernier baroud d'honneur en laissant implanter des éoliennes sur ses terres: "Il doit croire qu'avec les éoliennes on va vivre dans la laideur. Il a tort. On va juste mourir en beauté.(P.66)
Les éoliennes ne sont que le symptôme d'un profond désaccord : quand l'un y perçoit l'innovation et la modernité, la rentabilité des énergies vertes, l'autre rétorque par la dévégétalisation, la fin du métier d'agriculteur et la soumission à EDF: "Quand notre exploitation sera traversée de routes qui mènent aux éoliennes, on sera une usine, une industrie, un sous-traitant EDF , tout ce que tu veux, mais sûrement plus des agriculteurs." (P.72)

Car la question est bien celle-ci : qu'est-ce qu'être agriculteur ?

Pourtant père et fils ont en commun de vouloir faire vivre leur terre. Mais faire vivre c'est faire perdurer, on ne peut pas toujours envisager sa terre à court terme et la vision de Mo, le fils, bouscule les certitudes paternelles d'avoir été un "bon" paysan. La voix de Suzanne, cette épouse disparue, donne corps à l'introspection de Brun, comme une conscience que l'on ne peut plus bâillonner : c'est elle dans des monologues nocturnes qui place Brun face aux conséquences de ses choix passés.
Et si la voix de Suzanne est très éclairante car sans hypocrisie sur l'impact d'une agriculture intensive, si celle de Mo est primordiale pour incarner une façon plus respectueuse de travailler la terre, celle de Brun est finalement celle qui m'a le plus bouleversée. Celle d'un homme au crépuscule de sa vie qui dresse le bilan de sa vie d'homme et de paysan.

La maladie amène le père à se raconter au fils, ces mots qu'on n'a pas toujours le temps de léguer à nos enfants, ces histoires qui nous ont bâtis comme nous sommes. L'émotion est dure quand le père raconte sa vie de misère, enfant, auprès de ses propres parents. Et on comprend mieux ses choix d'avoir cultivé à outrance, pour ne plus manquer :
"0n était pauvres et on avait peur. Pauvres comme tu n'imagines même pas. Une misère sans fond. La vérité c'est qu'on crevait de faim. Les récoltes couchées par la tempête pourrissaient sur pied. [...] Les hivers, on n'en voyait pas le bout. [...] Les femmes, on en faisait nos homme à tout faire. L'argent nous filait entre les doigts. Si le bois venait à manquer, on commençait à brûler nos meubles." (P.130)

• À travers les mots du père, se dresse douloureusement l'histoire d'une désillusion, celle des paysans. Ça aurait tout aussi bien pu être celle des mineurs qu'on poussa tels des bêtes de trait à produire toujours plus, après guerre, pour finalement réprimer (en 1948 particulièrement), leur mouvement de contestation dans la violence ingrate de ceux qui, après vous avoir flattés et exploités, vous reprennent tous vos droits.

C'est ce qui arriva au monde paysan :
"Nous avons été bien manipulés. D'abord il a fallu produire. Des tonnes de tout, des quintaux, des hectos. On aurait semé jusque sur le goudron si on les avait écoutés. On aurait coupé les arbres , on aurait même planté dans le creux des fossés. La force de frappe céréalière, c'était notre bombe atomique , l'arme alimentaire , que sais-je encore. Little Boy ! Mo n'a pas connu cet âge d'or, l'explosion des rendements qui nous remplissait d'orgueil . On achetait des machines toujours plus grosses . On arrachait les haies pour planter plus de blé encore, puisque le blé valait le prix de l'or. Je m'entends encore proclamer fièrement : "Je produis , donc je suis !" Les prix grimpaient jusqu'au ciel . On était les rois du monde , pas vrai? [...] On s'endettait sans compter. Les traites passaient à la banque comme dans du beurre, l'argent coulait à flots depuis Bruxelles. Puis un autre jour, les conseilleurs ont dit stop. Arrêtez de produire ! Rendez les champs à la nature que vous avez massacrée avec vos engins et vos engrais de malheur. Ayez la main verte. Et mettez vos terres au repos. Ça leur plaisait, cette image. Une grande banquise brune. Il fallait se tenir debout sur les freins, qu'on devait ronger, on a voulu nous tuer en plein élan. On a gelé nos terres. Et plus on les gelait, plus on touchait. Ils nous ont payés à ne rien faire, ne rien produire, à mourir sur pied. Voilà ce qui est sorti de leurs cervelles malades. Produire était devenu un gros mot. On voyait aux informations les paysans sans terre du Brésil et du Sahel. Et chez nous en ouvrant les volets on contemplait nos terres sans paysans." (P.66).

L'amertume de Brun est poignante, lui qui a cru toute sa vie qu'être paysan, c'était être la vestale du temple : le gardien et protecteur des terres, qui les valorise et les fait fructifier pour le bien de tous. Mais il réalise qu'il ne fut rien que le pantin de lobbys : hier ceux de l'agrochimie qui les ont empoisonnés et tari leurs sols, aujourd'hui ceux des fournisseurs d'énergie verte.
- "Un pantin sait bien faire quand on le tire par ses ficelles. Ils étaient de mèches avec les marchands de semence , d'herbicides et d'insecticides, et que sais-je encore, avec les marchands d'aliments, avec l'industrie et même avec les grandes surfaces, tu m'ôteras pas ça de l'idée. Ce petit monde a prospéré sur notre dos. Et nous , crédules comme pas deux, flattés d'être des entrepreneurs modernes et pas des péquenauds en gros sabots, on a gobé ces mirages. (P.98)

Mais à la fin sonne l'heure des comptes...

Mohican, c'est enfin, et peut-être surtout le roman d'un empoisonnement, un sombre gâchis chimique, celui des vies abîmées ou fauchées par cette course à la productivité.
"On accusait les herbicides. Certains d'entre eux ont été interdits depuis. Quand j'étais enceinte , tu les épandais tous aux Soulaillans, tous sans exception. [...] Je ne veux pas t'accabler , c'était ainsi . Tu t'es empoisonné tout seul, et nous avec." (P.75)

L'auteur ne juge pas, il recontextualise: comment en est-on arrivé à effectuer des épandages meurtriers (pour les agriculteurs et leurs familles, pour les habitants proches, pour les sols et la nature elle-même), le tout au nom d'un objectif louable : nourrir tout le monde... Peut-on justifier une horreur par une intention louable ?
"Je garde l'image de toi , de ton visage rayonnant , soulagé , un matin que tu avais pulvérisé tes produits au-dessus des Grands Champs. Tu venais de faire l'acquisition d'un petit ULM. Tu n'en revenais pas de l'efficacité de la vaporisation sur les grandes feuilles vertes des maïs. [...]
"j'avais l'impression d'être au Vietnam et de larguer du napalm." (P.76)

Bien que le dernier quart du roman s'appuie sur une "pirouette" favorisant un dénouement heureux, du moins pour cette exploitation-ci, il ne faut pas perdre de vue que ce récit est le douloureux émissaire d'un monde qui tend à disparaitre.

C'est un superbe tableau d'un monde fait d'hommes qui triment, durs à la tâche et avares de plaintes. Des taiseux rugueux de pudeur. "Brun parle mieux à ses vaches qu'à son fils. Mo en a pris son parti depuis longtemps, c'est ainsi et on ne le changera pas."(P.79)

Mohican dresse le portrait d'un monde qui est englouti : par une société bétonisée, par des macro exploitations qui "mangent les petits", par des lobbys et des politiques qui font la pluie et le beau temps sans considération pour ces petits exploitants et éleveurs frappés d'un sur-taux de suicide.

"Là où poussaient ses blés, un immense supermarché a surgi, avec parking à perte de vue, station-service et zone de stockage. Quant à la ferme des Mignots, à moins de trois kilomètres, la fin n'a pas été plus glorieuse. L'autoroute a tout dévoré. [...] Il aurait fallu que les prix du blé montent au ciel pour qu'ils résistent, aux Mignots." (P.100)

Je referme "Mohican" le coeur serré, un peu sonnée par tous ces passages emplis d'une telle vérité, une acuité sur ce métier, sur ce monde et sur les changements qui à travers ceux de la paysannerie, préfigurent ceux de toute une société et de ce que nous et nos enfants en feront.

"Paysan n'était pas un métier . C'était ce geste ancestral toujours recommencé. Se nourrir pour ne pas mourir . Se faire l'égal de Dieu en multipliant le grain qui donne le pain." (P.115)

N.B: Par une curiosité inhabituelle, je feuillette jusqu'à la dernière page du livre. Comme au cinéma, quand on attend un dernier petit clin d'oeil à la fin du générique, ce petit bonus que les premiers sortis de la salle, pressés, auront raté.
Et je constate, toute émue, que ce roman a été imprimé chez moi, dans cette petite ville charentaise où les terres arables disparaissent mais où les livres qui en parlent, fleurissent...
Commenter  J’apprécie          5719
Au lieu dit des Soulaillans , Brun le vieux fermier, soixante- seize printemps , son père Léonce Danthôme , le patriarche avait succombé dès sa prime enfance à la modernité , dans sa mémoire , cinquante ans , après resurgissait la grande fête que l'ancêtre avait faite lors de l'arrivée flambant neuf du petit tracteur sorti des campagnes des chaînes Ford et des grandes plaines de l'oncle Sam
..Chez les Danthôme , alors , il fallait d'urgence produire pour éradiquer les famines sur toute la planète …
Brun , en meneur aimait surprendre et innover: vaches laitières , fabrication du Comté et autres Morbier , utilisation très tôt des pesticides ….
Soixante - ans après, , son vieux médecin , le docteur Caussimon à qui il fournissait depuis toujours volailles et fromages , légumes lui avait annoncé une grave maladie , résultats de la chimie balancée sur ses terres sans combinaison ,ni protection , avec des gants déchirés ou pas de gants du tout.
Il va mourir , laissera bientôt ses terres à son fils Mo , âgé de trente - sept ans , écolo , ne jure que par la lenteur des jours, la quiétude des herbages , les horizons préservés : coccinelles , fumure, couvert végétal ,engrais bio, fourrés , failles abruptes , pissenlits , boutons d'or , parfum des fleurs , haies vives remplies d'oiseaux, bourdonnement des abeilles , ample tilleul des Grands - Champs —— arbre tutélaire glorieux , indéracinable——-du chant des alouettes à cet or impalpable ——le temps des moissons —-qu'il fallait à tout prix préserver de la cupidité aveugle des hommes .
Les querelles entre le père et le fils , pudiques et obstinés , comme les gens de la terre, se réduisaient à un dialogue de sourds …

Avant de disparaître , pour éviter la faillite et gommer son image de pollueur Brun décide de couvrir ses champs de gigantesques éoliennes.
Lorsque le chantier démarre , c'est un déluge de fer et de béton qui s'abat sur la ferme de Mo.
Il ne supporte pas cette douloureuse invasion qui défigure les paysages , leur bruit de lasso, leur feulement régulier qui altère , détruit les équilibres entre les bêtes , la nature et l'homme .
Aux illusions de la modernité galopante Mo oppose agriculture durable, quête d'enracinement et espoir d'un avenir serein à visage humain .
«  Que faire pour le bonheur des champs ? » disait Virgile
Pour des raisons familiales et personnelles , j'ai beaucoup aimé ce livre , souvenirs d'enfance : surveillance de la météo , moindre orage ou gelée pernicieuse qui pouvaient tout détruire, longues veillées dans les champs travail harassant , discussions âpres à propos d'achats de matériel toujours plus coûteux, passion viscérale pour ce métier si particulièr.
On parlait déjà de la métamorphose de l'agriculture.
Personne pour reprendre des terres agricoles !
Qui a encore envie de faire ce métier si difficile , si peu apprécié, si méconnu, si décrié et si méprisé, surtout par les urbains ?
Personne !
Cette histoire pourrait se passer dans n'importe quelle région agricole de France.
L'auteur , avec tendresse , profondeur, retrace avec habileté , en connaisseur du monde paysan', l'histoire de l'agriculture française de la fin de la guerre jusqu'à nos jours , de l'optimisme , de l'entrain à une profonde détresse , le plan Marshall, l'exode rural, la création de fermes dotées de centaines d'hectares , le remboursement des crédits , les rendements , l'arrivée de la «  Chimie » pour «  protéger » les récoltes .
Il examine à la loupe les différentes mutations agricoles , c'est un roman au souffle long .
Dans un Jura rude , majestueux se nouera le destin d'une très longue lignée d'agriculteurs , de Léonce à Brun puis MO sans oublier le muet : Isidore et surtout la mère de Mo , institutrice , la belle Suzanne , disparue trop tôt !
Il dénonce à sa façon les partisans d'une agriculture intensive , les contre-vérités , les querelles parfois violentes et désordonnées pour une agriculture durable , respectueuse de l'environnement .
Il mobilise toute sa puissance narrative pour brosser le tableau d'une paysannerie en crise , ce monde qui ne veut pas mourir .
Il nous gratifie de très belles pages sur la relation père - fils .
Un très beau livre de rentrée , la fin est un peu surréaliste , mais on pardonnera à l'auteur.
«  Qui avait saccagé ce bonheur - là ?
Brun faisait défiler ses souvenirs mais aucun ne lui disait par qu'elle traîtrise la maladie s'était immiscée en lui aussi sûrement que les nitrates empoisonnaient les nappes d'eau profonde en aval de ses champs .
Tout ce en quoi il avait cru s'effondrait soudain. L'éclat blond des blés , les grains de maïs bien lourds et rebondis , les colzas pimpants , les capitules charnus du tournesol', toute cette beauté n'était donc que le visage trompeur de la mort » …
Bravo à Éric Fottorino , à l'écriture si sensible , touchante de sincérité et de vérité .
J'ai déjà lu plusieurs de ses livres , je n'ai jamais été déçue .
Merci à mon libraire qui m'a proposé cet ouvrage de rentrée .
Commenter  J’apprécie          5112
Voilà un très bon roman sur le thème de la paysannerie française d'aujourd'hui.

Brun et son fils Mo sont deux agriculteurs dans la Région du Jura.
Brun, le père, veuf, est un paysan à l'ancienne : productiviste, convaincu de l'intérêt des pesticides, il est toujours allé « de l'avant » en privilégiant « le progrès » comme on disait à l'époque.
Mo au contraire privilégie la nature, le bio et les méthodes naturelles pour se débarrasser des insectes ou des maladies qui peuvent affecter les cultures.
Comme on l'imagine père et fils ne sont pas du tout d'accord.

Mais l'intérêt de « Mohican » c'est qu'on comprend pas à pas pourquoi cette agriculture productiviste s'est développée : après des années où les parents de Brun devaient s'escrimer à faire vivre leurs fermes grâce à leur seule force de travail, l'arrivée de la mécanisation et de son cortège de produits attractifs (avec des têtes de mort et des toutes petites lignes comme le confirme Mo sur les bidons), tout paraissait pourtant simple.

Mieux : les paysans des années d'après-guerre étaient fiers : ils investissaient dans la terre et ses outils de production pour nourrir la France. Portés par la Politique Agricole commune, et des dirigeants caritatifs (on pense à Jacques Chirac par exemple), ils étaient heureux de pouvoir dire qu'ils nourrissaient leurs concitoyens, voire même au-delà avec la politique d'exportation du lait dans les pays sous-développés.

Las, Brun comprend d'autant moins les reproches qu'on fait aux paysans d'aujourd'hui.
Même Mo, quand il découvre une pancarte où on les traite d'é »AgriculTUEUR », voit rouge.
Le divorce avec la société d'aujourd'hui, plus soucieuse d'écologie et de produits naturels est pourtant consommé.

On pense au film "Au nom de la Terre" d'Edouard Bergeon avec Guillaume Canet. Ce film, construit comme une saga familiale rurale, d'après la propre histoire du réalisateur et de celle de sa famille, montre bien aussi le cercle infernal : investissements, emprunts lourds auprès du Crédit Agricole, nécessité d'une spirale du « toujours plus », avec ce chiffre dramatique : en France un agriculteur se suicide chaque jour.

Ici dans « Mohican » ce n'est pas le suicide qui menace Mo, mais bien la maladie qui le rattrape. Une leucémie mal détectée (il a trop attendu pour aller chez le médecin pourtant son voisin et ami), et surtout une grande interrogation qui lui tombe dessus : pourquoi moi ? Qu'ai-je fait pour mériter cela ?

Mais dans la vie Brun et Mo ne se parlent très peu. Juste ce qu'il faut pour le boulot. Et si Brun ne dit rien à son fils pour ne pas l'inquiéter, sa femme morte quelques années plus tôt d'un cancer, vient le relancer en rêve pendant la nuit …

Derrière l'artifice (un peu tiré par les cheveux), le talent d'Eric Fottorino consiste à prendre le temps de bien camper ses deux personnages principaux pour bien nous faire comprendre leur histoire et donc leur vie d'aujourd'hui.

Intervient alors, à ce moment du récit, un autre phénomène un peu surprenant : Brun est très tenté par l'installation d'éoliennes sur son exploitation dont un promoteur qui lui vente les mérites.
Mo est contre, bien sûr, mais en tant que fils, il n'a pas droit au chapitre. Et avant que Brun succombe à sa leucémie, il aura eu le temps de signer le contrat qui va engager sa ferme dans de très importants travaux de déblaiement, pour acheminer les mâts gigantesques et leurs pâles associées sur un véritable paradis naturel sur lequel régnait (comme on le verra à la toute fin) la famille depuis des lustres …

Eric Fottorino a des accents lyriques quand il décrit (très bien sans doute) la campagne environnante. Mais on sent bien que ce dont il parle, ici au coeur du Jura, est en cours de disparition.

S'en suit un long réquisitoire anti-éolien qui m'a laissée perplexe.
Sans parler politique (ce n'est pas le lieu ici sur Babelio) mais en restant sur le champ littéraire, l'auteur porte la thèse, défendue par Mo et son oncle un peu spécial nommé Isidore, que les éoliennes sont une catastrophe pour les prairies où elles vont s'implanter. Surtout quand elles ont des mètres de hauteur, et qu'elles fauchent au passage des oiseaux migrateurs.

La fin du récit, qu'on ne dévoilera pas pour ne pas divulgacher le plaisir du lecteur, redonnera raison à Mo et à son oncle Isidore, dans une « happy end » salvatrice. Si la ficelle est un peu convenue pour terminer le récit, il n'en reste pas moins que « Mohican » (comme on surnomme Mo à la fin de l'histoire) est une véritable ode à la paysannerie française, très bien documentée, et qui nous fait voyager dans les contrées jurassiennes à la découverte d'un petit coin de paradis.

Un très bel éclairage sur une véritable question de société qui met en lumière le monde paysan mieux que ne sauraient le faire les documentaires disponibles sur le sujet, parce qu'incarné par deux belles personnes.

A lire et faire lire sans modération donc.
Commenter  J’apprécie          508
« Avant de cultiver la terre, l'homme ne travaillait pas. Il chassait, il cueillait, il allait et venait au hasard de sa condition d'errant. L'agriculture avait inventé le travail, c'était incontestable. »

Aux Soulaillans, dans le Jura bourru, Léonce, Brun son fils et nombres de générations avant eux avaient labourés, remués, façonnés, ensemencés ces terres qu'ils aimaient par-dessus tout.

Eric Fottorino a écrit un roman d'amour à la terre, aux combes, aux crêtes, aux arbres, aux fleurs, aux vaches, aux moutons et aux abeilles. D'amour à la vie.

Pour cet amour-là, Mo a renoncé à tous les autres et a cheminé dans les pas de son père.
« Comprends ceci, Mo. Sans la chimie, sans nos machines, jamais on n'aurait fait de notre pays une puissance agricole. C'est bien beau à présent de rêver écologie, petites fleurs et légumes bio. Mais si on était partis dans cette direction après la guerre, crois-moi, il y a longtemps qu'on aurait tous crevé de faim. »

Pour nourrir la France, il fallait multiplier les récoltes, sulfater, désherber, sulfater encore. Il y a tellement cru Brun qu'il y a brulé son corps.
Combien d'hommes ont donné leur vie pour une cause et il s'est avéré qu'avec les temps nouveaux, c'était une connerie ?

Avant de mourir, Brun va imaginer se racheter en signant la construction de trois immenses éoliennes sur ses terres ancestrales.

Avant de planter ces banderilles à hélice sur l'échine innocente et verdoyante des crêtes parfaites du Jura, l'auteur décrit avec poésie la magie naturelle de ces paysages enchanteurs, les vallons, les reculées, les rivières et les forêts.

Mo ne peut supporter d'entendre le fouet claquer à chaque tour de ce mixeur à déchiqueter les gypaètes et les cigognes. Il ne peut pas accepter voir ses chemins bucoliques transformés en autoroute de chaux et de ciment afin de transporter les énormes pales de fer. Il lui est intolérable de voir se creuser les fosses de milliers de mètres cubes qui seront gorgées du béton des socles.

Eric Fottorino dénonce sans débordement extrémiste cette gabegie mais en distille les éventuelles conséquences sur le territoire pour que s'immisce la réflexion dans l'esprit de chacun. Un vrai plaisir de lecture sur un environnement en danger.

Et demain, dans les prochains temps nouveaux, on s'apercevra que ça aussi c'était une énorme connerie.




Commenter  J’apprécie          422
Comment parler d'un livre qui m'a bouleversée, qui a déclenché en moi de l'amour et de la haine à une telle intensité ?

Si vous aimez qu'un livre vous procure des émotions fortes, lisez Mohican !
Si vous aimez qu'un livre vous fasse réfléchir, lisez Mohican !

Mohican est un livre d'amour.
L'amour de Brun, le paysan qui aime sa terre passionnément, de toutes ses tripes, mais qui est au bout du rouleau. Usé par le travail, abîmé par les produits dont on lui a conseillé l'usage et qu'il a pendant des années répandus dans ses champs en pensant bien faire.
L'amour de l'auteur pour la nature.
L'amour des paysages sublimes qui nous entourent, doublé de la conscience aigüe de ce que nous devons à notre planète et de l'absolue nécessité de la préserver pour les générations futures.
Un amour plus que nécessaire : une urgence vitale.
Comme l'a dit le chef indien Seattle, cité à plusieurs reprises par Éric Fottorino : "Chaque parcelle de cette terre est sacrée. Chaque aiguille de pin luisante, chaque rive sablonneuse, chaque lambeau de brume dans les bois sombres." et "Vous devez aimer cette terre comme un nouveau-né aime le battement de coeur de sa mère."
Oui, n'oublions jamais que le sol sur lequel nous marchons est notre terre nourricière !
J'ai aimé Brun, tellement touchant dans sa détresse et dans sa maladie. Je l'ai aimé follement, j'ai eu envie de le prendre dans mes bras, de le consoler, de le rassurer.
J'ai eu envie de remonter le temps pour le mettre en garde contre des personnes malintentionnées et lui éviter de mauvais choix.
Pauvre Brun, dépassé par ce monde dit moderne, et proie facile pour des promoteurs sans foi ni loi...

Et c'est là que Mohican devient aussi un livre de haine. Une haine bien compréhensible... indispensable, même.
À travers son histoire, l'auteur dénonce avec force les divers escrocs qui, pour de l'argent, ne reculent devant rien : ceux qui ont convaincu les paysans d'arroser leurs plantations de produits toxiques pour les humains, et surtout ceux qui vantent à grands coups de mensonges les éoliennes en les parant de toutes les vertus.
Ces fameux engins supposés résoudre nos problèmes énergétiques tout en étant absolument "propres". Ben voyons !
Affaibli et trompé par de belles paroles, Brun a signé un contrat, et son fils Mo va en subir les lourdes conséquences.
Mo ne supporte pas ces constructions qui défigurent ses paysages, il enrage de voir le massacre des trouées creusées dans sa terre pour faire passer les engins de chantier, il ressent comme une atteinte dans sa chair les mètres cubes de béton déversés pour ancrer ces objets maudits dans un sol abîmé à tout jamais.
Mo se met à détester ces menteurs sans scrupules qui avaient promis monts et merveilles à son père, ces marchands de malheur qui n'ont que faire de la terre et sont prêts à tout détruire, pourvu qu'il y ait à la clef de l'argent gagner. Beaucoup d'argent !
Brun s'est illusionné et a cru que les éoliennes seraient une solution pour enrayer la faillite de son exploitation, son fils Mo vit leur installation et subit le désastre, bien réel, lui.
Mo développe une haine féroce pour ceux qui ont abusé son père.
J'ai, moi aussi, ressenti cette haine. Une haine profonde pour ces destructeurs qui usent d'arguments fallacieux et profitent de la position de faiblesse de leur interlocuteur pour lui faire signer un contrat scandaleux. Un contrat qu'il n'aurait jamais approuvé s'il avait eu une information claire et complète sur le sujet, s'il avait su ce qu'on allait réellement faire à ses terres.
Mo, lui, comprend. Tout de suite. Il comprend que son père s'est fait gruger. Il comprend que sa propriété est vouée à la destruction. Il comprend que : "Les éoliennes, c'est la dernière arme qu'ils ont trouvée pour nous éliminer, nous les paysans. Quand le béton aura éventré nos terres, quand nos paysages seront devenus des usines en mouvement, nous aurons disparu à jamais."

Mohican est une fiction mais plus j'ai avancé dans ma lecture, plus j'ai été convaincue du contraire. Je suis certaine que Brun et Mo existent en de multiples exemplaires et que ce qu'ils subissent est le lot de nombreux autres paysans.
L'histoire contée par Éric Fottorino n'est pas qu'imaginaire, elle est le reflet d'une terrible réalité.
Mohican est un drame.
Un roman en cinq actes, comme une tragédie moderne.
Un texte puissant qui vous emporte et vous secoue. Qui vous fait prendre conscience de la fragilité du monde paysan alors que le travail de la terre, noble parmi les nobles, devrait être sacralisé : c'est notre santé et notre avenir qui sont en jeu.
Dans son chef-d'oeuvre La terre, Zola prédisait : "Nos fils verront ça, la faillite de la terre." Il avait, hélas, raison. Et si nous ne prenons pas collectivement conscience de l'ampleur du désastre, l'humanité court à sa perte.
Si rien n'est fait pour sauver Mo, si nous le laissons être le dernier des Mohicans, les dégâts seront irréversibles.

Un immense coup de coeur pour ce roman poignant et superbement bien écrit qui va me marquer d'une façon durable.
Lisez Mohican !
Commenter  J’apprécie          369




Lecteurs (615) Voir plus



Quiz Voir plus

L'écologiste mystère

Quel mot concerne à la fois le métro, le papier, les arbres et les galères ?

voile
branche
rame
bois

11 questions
255 lecteurs ont répondu
Thèmes : écologie , developpement durable , Consommation durable , protection de la nature , protection animale , protection de l'environnement , pédagogie , mers et océansCréer un quiz sur ce livre

{* *}