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Critique de Agneslitdansonlit


Je remercie d'ores et déjà chaleureusement Les Éditions Paul et Mike, ainsi que Babelio, pour l'envoi de ce roman, choisi dans la liste réjouissante de la dernière Masse Critique!

• Quel joli livre, à la couverture illustrée de tons pastels, aux couleurs changeantes de l'océan. C'est ce qui a tout d'abord attiré mon oeil. le graphisme est très doux, (renforcé par la texture satinée de la couverture!), l'aquarelle fait la part belle à la nature. Elle fige le paysage morne d'une mer assombrie par le gros temps, laissant dans un second temps l'oeil du lecteur, encore dans l'expectative du récit, se poser sur cette petite maison qui ne tient plus qu'à un fil au flanc de la falaise, menaçant de s'écrouler dans cet océan terne.

Nous sommes dans le Cotentin et "la tempête approche", dans tous les sens de cette expression.

• Ella, Juliette et Pierre sont d'anciens copains de lycée. Si certains se contentent de se retrouver sur des sites dédiés aux amitiés nostalgiques, ce trio là, arrivé à la trentaine, n'a jamais coupé le fil de leur relation.
Aux prémices d'une crise sanitaire dont personne n'a encore saisi la gravité, les trois amis se retrouvent avec leur conjoint respectif dans la maison de famille d'Ella, en Normandie. le cadre est idyllique : sentiers côtiers, la mer à perte de vue, la falaise et sa plage en contrebas...
L'annonce d'un confinement, perçu comme l'occasion d'aller se mettre au vert quelques jours, sert de prétexte à un joyeux regroupement. le récit s'ouvre sur les arrivées de chacun dans la bâtisse d'Ella et son époux Tom, dans une ambiance qui se voudrait joviale.

Or, nous, lecteurs ayant vécu cette période, nous savons bien déjà que cette retraite rurale ne pourra pas s'en tenir à une "petite semaine sympa entre potes"...

L'auteure est prompte à rentrer sans ambages dans la satire sociale, maniant ces petits agacements qui viennent tirer les fils de ce tissu amical si soyeux, créant l'amorce d'accrocs bien plus profonds.

Dès son arrivée, le conjoint de Juliette, Marcus, businessman patenté, s'autorise un "mépris de caste", jaugeant ce trou perdu et ceux qui l'habitent, à l'aune de son bel appartement haussmannien. Pierre quant à lui, un des trois amis de lycée, passe le seuil de la masure de granit, déjà déçu de s'apercevoir que son conjoint Malik, et lui-même, logeront dans la cabane de jardin, et non dans la suite rénovée à l'étage.

• Au fil des pages, émergent des discordes latentes conjugales, de petites jalousies, des antipathies franchement affichées. Dans un huis-clos contraint, confinement sanitaire oblige, la tension, générée par une cohabitation finalement moins choisie que contrainte, va monter crescendo.
L'amitié que chacun croyait être un ciment immuable de leurs relations va s'étioler. Empreintes d'un malaise diffus, certains relations vont laisser place aux dissensions et au ressentiment:
"Juliette trouvait même qu'il se complaisait quelque peu à flotter dans un bain d'idées noires , toujours persuadé d'être unique, incompris, ce qui avait agacé la jeune femme plus d'une fois par le passé." (P.96)

Quant à la politesse, habituellement seule garante du maintien d'une certaine paix sociale, elle ne pourra plus suffire à freiner les instincts de rivalité, les petites mesquineries et bassesses entre "amis" (de 30 ans !!)

A mesure qu'à l'extérieur l'épidémie progresse et que les informations se font plus anxiogènes, que le mauvais temps se déchaîne, à l'intérieur de la maisonnée, jalousie, amertume et colère se font plus prégnantes :
"Bien sûr, elle était sincèrement heureuse de voir son amie épanouie, amoureuse d'un homme gentil et charmant. Mais une partie plus sombre d'elle jalousait avec aigreur le couple qu'Ella et Tom formait (P.122).

Et plus le huis-clos est oppressant, plus les ressentiments s'aiguisent :
"Pierre, que tout le monde qualifiait de fragile, qu'elle-même affublait du surnom de chaton sans défense, n'avait au final jamais eu à endurer le moindre obstacle dans sa vie lâchement subie. [...] Elle pria avec aigreur que Malik abandonne son conjoint sur le bord de la route. Qu'il se retrouve seul et désoeuvré. (P.185)

• Mais d'où vient l'aisance d'Emma de Foucaud à égratigner ainsi ses personnages, à les étriller en pointant leurs petits travers presque de façon caricaturale? La toute fraîche écrivaine est aussi comique de stand-up confirmée: "Toulouse Comedy Night", "Cap ou pas cap comedy", "Trop tard pour annuler", sans oublier son blog dont j'ai extrait cette petite phrase qui donne le ton :
"Utiliser « rayonnement » et « vivre-ensemble » dans la même phrase, ça me donne envie de faire des meetings à Roubaix"!

Et comment ne pas faire le lien entre cette capacité d'écriture caustique et acérée, et les portraits de plus en plus acerbes qu'elle va dresser de ses protagonistes, habituée qu'elle est à s'inspirer de situations vécues, pour appuyer là où ça fait mal.

Si Emma de Foucaud est sans concession dans sa radiographie des relations sociales, elle "pousse le bouchon" encore un peu plus loin en déshabillant ensuite chacun de ses personnages, les obligeant à se dévoiler tels qu'ils sont, sans filtre et dans ce qu'ils renferment de plus intime, de secret, voire honteux. Affleurent alors la culpabilité, le remord, le regret. Et a ce jeu là, ce ne sont pas toujours les plus antipathiques qui sont perdants au "déshabillage"...

Même les coeurs tendres finissent par révéler leur facette plus sombre:
"Malik secouait désormais la tête dans tous les sens, haletant. À la merci des horreurs de ses souvenirs. Pierre ressentait une force phénoménale. Obscure, inavouable, mais décuplée. Il détenait entre ses mains le contrôle total de cet être qui dormait à ses côtés. Il pouvait choisir de le libérer ou non de sa torture. Pour la première fois, Pierre eut l'impression d'être le bourreau d'un autre et non uniquement le tortionnaire de sa propre âme mutilée." P.139

• Ce roman se lit avec fluidité, sans que jamais "le soufflé ne retombe" et la forme du récit n'est pas en reste : il est présenté comme un journal, tenu quotidiennement, débutant au 15 mars (avec pour une même journée plusieurs entrées), mais surtout, il alterne avec des incursions épistolaires, mettant en scène un personnage inconnu, qui retrace sa relation tragique avec un certain Édouard. Si cette alternance de récits est intriguante, elle maintient un intérêt croissant pour les deux histoires, l'une contemporaine en pleine crise sanitaire, l'autre semblant surgir du passé, jusqu'au point de jonction, qui donne encore plus de sens à cette "étude sociologique en milieu clos"!! C'est très habile.

"Quatre murs de granit" ou la chronique d'une implosion annoncée. Si le granit est solide, les relations, elles, grignotées par les non-dits et les apparences trompeuses, se fissurent. Quelles conséquences sur un groupe, sur un couple ou sur une amitié lorsque le vernis a irrémédiablement craqué ?

On aurait pu craindre que l'auteure ne s'en tienne à un "jeu de massacre jouissif", tirant à coups de boulets dans ce jeu de quilles. Mais elle a su avec aisance alterner les critiques incisives avec des apartés plus sensibles, dévoilant certains personnages sous un jour plus intime, explorant la "mécanique interne", les blessures personnelles, nous invitant dans l'humanité des protagonistes.
J'aurais apprécié que la figure de Juliette soit un peu plus fouillée, ses failles plus explicitées, mais j'ai été très séduite par la subtilité du procédé visant à "retourner" un personnage : la face communément acceptée comme plaisante par tous faisant place à un côté beaucoup plus sombre... Et inversement !
Emma de Foucaud m'aura fort bien convaincue qu'il ne faut pas se laisser abuser par les apparences...
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