L'époque traditionnelle ne connaissait pas le prolétariat, parce que les prolétaires ne pouvaient pas subsister, ne survivaient pas aux famines. De sorte que nous sommes tous les fils, non de générations de misérables, mais de privilégiés (détenteurs de terres, de moyens de production, métayers), quoique très pauvres.
Si j'ai pu qualifier de « glorieuses » les trente années séparant les recensements de 1945 et de 1975, c'est parce que je les considérais quant à la promotion du niveau de vie et du genre de vie des Français ; je dois dire qu'elles ne me paraissent telles — et de loin — en aucun autre domaine, ni quant à la réflexion philosophique, ni quant à l'art, ni quant aux lettres, ni quant à la vie spirituelle, ni quant à la démographie, à la vitalité, à la vertu...
Ainsi commence à se dessiner la physionomie mentale d'un homme riche, sans foi et sans Dieu. Il n'est plus occupé que quelques dizaines de milliers d'heures sur sept cent mille, aux tâches traditionnelles de la prière et du travail. Au-delà de la frénésie quotidienne, du bricolage, de la pelouse à tondre et des voyages organisés, il est seul, en face de lui-même, n'ayant (presque) rien à faire, sinon penser à des choses bizarres qu'il ne comprend pas.
Il est plus facile de parler dans la nuit que de produire de la lumière.
Nous savons bien que la condition humaine reste tragique, et qu'elle sera peut-être même d'autant plus ressentie comme telle que l'homme disposera de plus de temps pour s'informer, pour comprendre (pour tenter de comprendre) et pour réfléchir.