Quand le livre s'efface, l'esprit de résistance s'effondre.
Quand je vois à bord d'un train, ces familles sur leur mobile, immobiles, tétanisées, comme Gulliver enchaîné par les Lilliputiens, je mesure la menace sur l'esprit de notre civilisation. Il arrive parfois que cette famille soit la mienne. Et les sanglots m'étranglent.
Céder à son smartphone, c'est refuser de regarder en face la beauté du monde mais aussi sa tragédie.
A la vérité , nous ne savons plus vivre. Nous avons perdu en chemin la grâce des jours. Ce temps qui est le vent, le soleil sur notre peau. La numérisation de notre vie a entrainé une perte de sensualité. Où est passée la vaste disponibilité à l'enchantement de la nature, cet arbre d'oisiveté dont parle Lawrence Durrell dans ses poèmes et qui doit ressembler un peu à l'arbre voyageur?
Le temps de la lecture d'un poème, de sa relecture, de sa mémorisation est antagoniste à l'impulsion" écranique". Un poème est une prière: silence exigé. Il faut se perdre dans le dédale des vers pour les respirer: c'est la plus belle des ouvertures sur les vents contraires du monde.
Il faut partir avec la poésie comme seul bagage.
Les bibliothèques composent une mémoire vivante, un éveil des sens. Elles permettent de voyager d'un pays à l'autre. Les plus parfumées se trouvent dans les villas de vacances. Les livres gardent entre leurs pages la douceur du temps suspendu. Celui des chaises longues en toile délavée, des bains de mer.
C'est parfois si simple le bonheur: un paysage, la mer, le soleil, un parfum. Nous les perdons de vue aujourd'hui. " C'est quelque part entre la Calabre et Corfou que le bleu commence pour de bon."
( Laurence Durrell , L'Ile de Prospero)!
Les îles, ces hosties de sable vers lesquelles les hommes se sont réfugiés quand le monde était bruyant. " No tongue, all eyes! be silent! , écrivait Skakespeare dans La tempête que Durrell cite en exergue. " pas de mots, les yeux ouverts, soyez silencieux."
La vie n'est supportable que plongée dans la musique, la peinture, les écritures, seuls antidotes avec le sacré au poison de l'absurde. Le quotidien est sublime quand il se confond avec l'art...
Twitter c' est le rouleau compresseur.La massification de la pensée contre le grain de beauté de l'humour.