Citations sur Cher Gabriel (32)
Nous avons besoin d'un mur pour nous adosser, toi et moi. Parfois, la caresse d'une main suffit, d'autres fois, il nous faut tout un échafaudage de perspicacité et de compréhension pour ne pas tomber, pour ne pas sombrer dans l'ignorance, le désarroi et l'angoisse. Nous sommes chacun le mur de l'autre : parfois tu es le mien, mais souvent c'est à moi qu'il revient d'être le tien, car tu trébuches, et tu tombes si facilement.
On dit fréquemment, au sujet de gens comme toi [autistes], que vous vivez dans un monde clos, rien qu'à vous, mais ce n'est pas tout à fait vrai. Peut-être encore plus que les autres, tu ne te retrouves que dans la réciprocité. Sans nous autres, chez qui tes actes et ta spécificité se reflètent, tu es seul, dans le sens le plus solitaire du mot. (p. 25-26)
Nous perdons ce que nous devons perdre, Gabriel – parce que c'est le moment, parce qu'il est temps, parce que rien ne dure quand c'est fini. Ni les maisons, ni les amis, ni les gens, même les vieux arbres ne durent pas plus longtemps que prévu, au-delà de leur temps. Parfois, tu me manques déjà.
Imagine-toi, je ne sais pas qui tu es, moi qui te connais si bien.
Le chagrin est aussi grand que l'énigme que tu représentes pour tous les scientifiques du monde, seulement en étant toi. Grand comme l'impénétrable, grand comme cette toute petite graine que la vie a omis de semer en toi, ta différence, l'absence qui te suivra toujours et qui m'emplira de chagrin.
Tu es un enrichissement pour ceux qui te connaissent, tu nous sers de rectificatif. C'est un privilège d'apprendre par toi et une joie de t'enseigner tout ce qui peut t'aider à vivre avec ta propre vulnérabilité et l'ignorance des autres, tout ce qui peut te protéger et renforcer ta conception du bonheur.
En fait, Gabriel, tu es toi-même tout un paradoxe, complexe, inattendu et défiant, mais jamais ennuyeux, jamais monotone et jamais facile à comprendre. Tu es tout simplement une langue à toi, Gabriel.
Un jour, ta soeur a dit que si on porte des lunettes, il faut les enlever pour pouvoir les décrire. Elle avait tout à fait raison, et quand il s'agit des gens, c'est la même chose. Personne ne peut se voir ou se comprendre tout seul, sans prendre de distance. (p. 16)
C'est avec joie que nous te regardons grandir et t'endurcir, que nous voyons comment tu développes tes capacités et acquiers du savoir comme n'importe quel autre enfant, comment ta personnalité prend forme petit à petit. Mais nous ne savons pas, nous ne pouvons pas savoir si cela suffira. Si toi et le monde, vous allez apprendre à vous tolérer, à vous comprendre suffisamment pour pouvoir vivre ensemble en bonne entente. Nous ne pouvons pas savoir si tu seras tout seul, Gabriel, et nous ne pouvons pas non plus savoir si tu sauras être tout seul.
Feindre n'est qu'un mot plus joli pour mentir, et le mensonge est un marécage qui aspire toute vie et l'avale jusqu'à ce qu'il n'en reste que du noir, du vide et de l'angoisse.