Nous ne sommes ni des non-morts ni des morts qui reviennent. Nous sommes, disons, des êtres qui ne meurent pas, au sens où l’entendait le prédicateur chrétien Ælfric d'Eynsham, à la fin du Xe siècle, quand il a inventé l’adjectif «undeadlic» pour définir l’immortalité ou l’impossibilité de mourir de Dieu, devenu ensuite «undead», qui s’applique aux individus ranimés «par une force ou entité étrange». De même, les termes «revenants» ou «revinientes» désignent ceux qui ne partent pas, auxquels on s’empresse d’attribuer, sans doute pour rendre plus supportable la condition des autres malheureux, une soif insatiable, de longues dents et des cercueils. On nous diagnostique aussi des allergies à la lumière du soleil et aux miroirs (nous adorons pourtant nous regarder dans la glace ; nous récréer à la vue de notre délicieuse singularité, le matin, à l’heure où vous ressemblez tous à des zombies, nous comble).
Mais qui a dit, dit, dira ces mots ? j'ai de plus en plus souvent le sentiment de capter les pensées et les idées d'autrui, passées ou à venir, d'être une sorte d'aimant, de bouche et de gorge de maelström qui prend des autres tout ce dont elle a besoin et en fait usage après l'avoir mâché et digéré, puis le renvoie à la surface totalement transformé et, je l'espère, transformateur.
L'oeuvre est-elle le fils à qui on dit adieu sur un embarcadère ou devient-on le fils de son oeuvre, qu'on laisse derrière soi en gagnant le large pour que d'autres, plus tard, la célèbrent ou la condamnent ? Le véritable objectif n'est-il pas d'adopter après l'avoir obtenu le statut désagréable et mutuel d'orphelin, et de sauver ce qu'on peut et qui l'ont peut de sa vie et de son oeuvre à l'approche du typhon ?