Citations sur L'Antiquité rêvée : Innovations et résistances au XVIIIe siècle (19)
C'est encore au nom de l'Antique, souche mère de formes énergiques et de vertus mâles inspirant l'amour de la liberté, que les révolutions américaine et française se sont faites, défiant et humiliant des cours poudrées, compliquées et corrompues.
Pour une part, le Serment présente les mêmes qualités que le Bélisaire : essentiellement une décantation radicale des formes et du décorum qui confère à l'image la puissance généralisatrice du symbole, mais unie à un sentiment de "prégnance" du moment (Fried, 1993) qui rend quasiment tangible l'épisode représenté. On insiste à raison sur le processus de stylisation linéaire, inspiré par l'antique, auquel ce tableau participe de façon déterminante et qui aboutira à la création radicale des gravures de Flaxman et Cagneraux au début des années 1790 ((voir CAT.147) et Rosenblum, 1976). Néanmoins David conserve scrupuleusement un irrépressible principe de réalité (Crewe, 2007) c'est-à-dire un souci de la présence tangible et matérielle des choses représentées, surtout manifeste dans le traitement quasi illusionniste de la corporalité de ses personnages ("on voit presque circuler le sang dans leurs veines", Minos au Salon, ou la Gazette infernale, Paris, 1785, p.23)
des figures de second plan d'un de ses tableaux avaient attiré l'attention de son aîné le peintre Charles-Joseph Natoire : "Je répondis à ce digne maître, qui, ainsi que les contemporains, ne peignait jamais d'après nature, que la nature m'aidait bien mieux qu'un dessin sur lequel il n'y avait jamais aucune indication pour la couleur. La conversation sur ce sujet se termina là, car il aurait été fort embarrassé pour me répondre" (Les mémoires de Joseph-Marie Vien, dans Caehtgens et Lugand, 1988, p. 301) De même, Sir Joshua Reynolds, dans son discours à la Royal Academy en 1784, réprouva l'abandon de l'étude du modèle nu pratiqué par Boucher et ses émules : " nos voisins de France sont beaucoup dans l'usage d'inventer impromptu (...) mais qu'il y a peu de leurs ouvrages finis qui méritent (notre) éloge! Boucher, le feu directeur de l'cadémie de Paris, était surprenant dans cette partie. Lorsque je lui rendis visite en France, il y a quelques années, je le trouvai occupé d'un fort grand tableau, pour lequel il ne se servait ne d'esquisses ne de modèles d'aucun genre. Comme je lui en témoignai ma surprise, il me répondit que dans sa jeunesse, et lorsqu'il étudiait son art, il avait tenu le modèle pour nécessaire mais qu'il y avait longtemps qu'il ne s'en servait plus."
où la nudité des corps était la métaphore d'individus libres, non entravés comme dans les sociétés monarchiques de l'époque;
Les deux figures de héros évoluent dans un univers de profonde sérénité, défini par Winckelmann dès 1755 et dont Mengs fut le principal artisan : " une noble simplicité et une grandeur tranquille, tant dans l'attitude que dans l'expression, voilà en définitive le trait général qui distingue par excellence les chefs-d'oeuvre grecs. De même (...) l'expression des effigies grecques, quelle que soit la passion qui les agite, fait paraitre une âme grande et toujours égale".
Les doctes Anglais protesteront contre les bévues de Le Roy, mais le succès européen de l'ouvrage, auprès du public et des architectes, contribua au contre-feu anti-Oppenord, anti-Meissonier et anti-Lajoue allumé par Caylus et Mariette. Tous deux appliquaient la stratégie aristocratique suggérée par Voltaire dans l'article "Goût de l'Encyclopédie :
"Ce sont les gens de goût qui gouvernent à la longue l'empire des arts (...). Les connaisseurs seuls ramènent à la longue le public et c'est la seule différence qui existe entre les nations les plus éclairées et les plus grossières, car le vulgaire de Paris n'a rien au dessus d'un autre vulgaire, mais il y a dans Paris un assez grand nombre d'esprits cultivés pour mener la foule."
Comment l'Antique a-t-il pu, au XVIIIe siècle, passer pour la réserve d'énergie jeune, de liberté noble, le bel objet de désir, grand, sublime et simple, auquel doivent revenir les modernes, sommés de vaincre la décadence, la servitude et l'efféminement après avoir vaincu la barbarie?
Avec David, Robespierre ou Bonaparte, avec l' "exception française" de 1789 à 1815, on aurait alors affaire au néoclassicisme nu et suprême, existentiel pour ainsi dire, parce qu'il se confronte directement, sur la scène de l'Histoire, déblayée d'Ancien Régime de cour et d'Église, aux exemples primordiaux de l'Antiquité, affrontant le risque terrible de ne pouvoir en assumer toute l'exigence de destin et de grandeur. D'où l'intérêt que Mario Praz accorde au style Empire, décor final approprié à l'épopée européenne "à l'antique" dont Bonaparte aura été à la fois l'Homère et l'Achille, en uniforme de petit caporal.
Les viriles vertus civiques du patriotisme et du sacrifice furent exaltées, quelquefois jusqu'à l'excès, par les toiles rigoureuses de David et de Peyron.