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Critique de AnneVacquant


Livre reçu dans le cadre de l'opération "Masse Critique ".
Le titre et l'exergue donnent l'idée générale : les nouvelles du monde ne sont pas bonnes – comme d'habitude – et au lieu de se morfondre, il est préférable de se détendre et de profiter du déjeuner, sachant que la vie est imparfaite.
À la terrasse d'un café, il y a deux jeunes femmes. D'un côté, Sophie (de son vrai nom) / Sophia (celle qu'elle voudrait être) / Solenne (selon la description de sa voisine) / la fille aux escargots (vue de l'extérieur, parce qu'elle commande des escargots) incarne la fraîcheur provinciale, sympathique mais un peu naïve. À quelques mètres de la première, la fille au vélo (parce qu'elle est arrivée en vélo)/ Stéphanie (selon la caricature de sa voisine) / sans vrai nom indiqué (on saura pourquoi à la fin) est « parfaite » mais dégage l'aigreur de la Parisienne type odieuse.
La forme est originale : Solenne et Stéphanie commencent chacune un monologue intérieur (auquel s'ajoute un troisième, celui de la fillette assise un peu plus loin avec sa mère (qui sont-elles ? je vous laisse la surprise). Quoi qu'il en soit, elles représentent des voix distinctes, des étapes dans (les âges de) la vie d'une femme. Pour le moment, les deux filles dont le prénom commence par « S » (comme Stephan, d'ailleurs) s'épient, se comparent, se jugent : mal dans leur peau, l'une envie l'autre et réciproquement. Elles tracent le portrait d'une société dédiée aux apparences car l'étude à laquelle ses deux femmes s'adonnent révèle faux-semblants et égoïsme, peur du regard des autres et jugement perpétuel. Les vêtements, les attitudes, tout est symbolique et le prénom qui en est déduit donne corps à la personne imaginée.
Ce qu'il en ressort, c'est qu'il s'agit de mettre un frein pour se laisser la marge de manoeuvre (ne pas tout donner, laisser croire/espérer/désirer) qui prévient la peur de la désillusion, de la déception, d'avoir mal. Qui préserve sa fierté. C'est une carapace qui montre le peu d'assurance et d'estime de soi (accepter la concurrence, c'est s'aimer soi-même) pour se parer contre l'humiliation (le regard du serveur). Selon Charlotte Gabris, les filles intègrent vite la notion de concurrence et tant qu'il y aura des « Stéphanie », le manque de solidarité existera entre les femmes (p 40). Car ces femmes ont peur de la solitude, elles en ont honte, elles la cachent en faisant semblant d'attendre quelqu'un. Elles attendent de toute manière un homme, qui signifiera la fin de la solitude et le début de l'amour.
Le ton est résolument usuel, moderne/contemporain, avec un aspect « bavardage de filles » (gossip girl). C'est un mélange de familiarités et de « grossièretés d'usage » (très répandues de nos jours : putain, con, merde, bordel) qui s'intensifie jusqu'à atteindre une certaine crudité (bite, cul, féconder/vagin. Si ces deux derniers termes ne dénotent pas dans un livre de médecine, ils prennent ici une connotation provocatrice). L'ensemble est donc enlevé, vif, doté d'un humour décapant et d'une ironie amusante, au service d'un féminisme assumé. C'est un feu d'artifice de détails perturbants mais pertinents, un mixte entre le Jean Gabin de la chanson « Maintenant je sais » et le Raymond Devos de « le bout du bout » (p 63). C'est drôle, puis cela devient profond, un peu triste aussi, avant que la pirouette finale rétablisse l'espièglerie de la situation. Les deux filles se confondent progressivement et la fin boucle sur le titre du roman inspiré de la chanson de Stephan Eicher.
C'est un petit roman qui se lit très bien (pour celles qui ne s'associent pas à « Stéphanie »), très vite et remet quelques préjugés en place.

Bonus : paroles de la chanson Déjeuner en paix, de Stephan Eicher :
"J'abandonne sur une chaise le journal du matin
Les nouvelles sont mauvaises d'où qu'elles viennent
J'attends qu'elle se réveille et qu'elle se lève enfin
Je souffle sur les braises pour qu'elles prennent
Cette fois je ne lui annoncerai pas
La dernière hécatombe
Je garderai pour moi ce que m'inspire le monde
Elle m'a dit qu'elle voulait si je le permettais
Déjeuner en paix
Déjeuner en paix
Je vais à la fenêtre et le ciel ce matin
N'est ni rose ni honnête pour la peine
"Est-ce que tout va si mal?
Est-ce que rien ne va bien?
L'homme est un animal" me dit-elle
Elle prend son café en riant
Elle me regarde à peine
Plus rien ne la surprend sur la nature humaine
C'est pourquoi elle voudrait enfin si je le permets
Déjeuner en paix
Oui déjeuner en paix
Déjeuner en paix…"

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