Il n'avait jamais été complètement réconcilié avec les automobiles ; il les acceptait en principe, en empiriste né qui adopte la forme du progrès à mesure qu'elle apparaît. Mais en réalité, il trouvait que c'étaient d'encombrantes machines, éreintantes et sentant mauvais. Il possédait , pour plaire à Annette, une Rollhard aux coussins gris perle, avec éclairage électrique, cendrier, miroir, porte-bouquet, le tout parfumé de pétrole et de naphtaline. Ses rouages bien huilés symbolisaient à ses yeux la rapidité, l'ingéniosité, l'absence d'effort de la vie moderne. A mesure que cette vie moderne se faisait plus lâche, plus neuve, plus rapide, Soames vieillissait, se ralentissait, se resserrait, de plus en plus pareil, en pensées et en actions, à son père James Forsyte. Il en avait conscience. Voiture et progrès lui dėplaisaient de plus en plus.
C'était un mystère pour tous que cet homme qui, ayant tout essayé, tout fait, tout vu, tout entendu , ne tenait à rien. Le type de l'Anglais cynique était assez fréquent dans la haute société, l'attitude du désenchantement y confère une certaine distinction qui n'est pas sans profit. Mais s'il est permis de se dire convaincu du néant de toutes choses, l'être sincèrement n'est pas anglais, et ce qui n'est pas anglais est de mauvais ton; peut-être n'est ce pas loin d'être dangereux !
Après bien des discussions, d'où il ressortait qu'à part les ordres, l'armée, le droit, la médecine, le théâtre, la Bourse, les affaires, l'industrie, Jon était prêt à entreprendre n'importe quelle carrière, Jolyon avait assez clairement compris que son fils n'avait envie de rien entreprendre du tout.
Cette petite émotion qu'on appelle l'amour s'accroît d'une façon surprenante quand elle est menacée.
Jouir ! Chez Soames ce mot ne choquait aucun préjugé puritain, mais il avait toujours eu peur de jouir du présent, de crainte de ne pouvoir jouir autant de l'avenir. Et c'était terrifiant de savoir sa fille dépourvue de ce garde-fou.
Et quand l’amour s’éteint ou quand on a découvert qu’il n’a jamais existé, eh bien, n’avouez jamais. On ne s’aime plus, mais la situation reste inchangée, et on continue à faire semblant. Ainsi rien n’est tout à fait perdu. On ne tombe pas comme les Français, dans le cynisme, le matérialisme et l’immoralité. De plus, le principe de propriété exige le maintien des apparences.