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Critique de LiliGalipette


Le texte s'ouvre sur la mort du père de Gérard Garouste. Immédiatement, les émotions sont dissonantes. « Il était mort et j'étais soulagé. » (p. 11) le fils qui ne s'émeut pas de la mort de père, on voit ça depuis Oedipe. Mais jamais la disparition de l'homme qui fut le père n'a su calmer les angoisses du fils, même devenu homme. « Sa mort ne change pas grand-chose. Elle ne résorbe rien. Je vis depuis toujours dans la faille qui existe entre lui et moi. C'est là que j'ai compris mon rapport aux autres et au monde. » (p. 13)
Garouste père fut un homme, un mari et un père brutal, professant à tout va une immense haine des Juifs. « Mon nom est une jurisprudence. » (p. 20) Toute sa vie, Gérard voudra réparer les fautes de son père. « Il n'avait pas pu faire héros. Alors il avait fait salaud. Son éducation de bon catholique l'y préparait. Il appartenait à un monde d'illusion et de certitudes, où les Juifs avaient sale réputation. » (p. 23) le fils se sent des devoirs sur l'héritage de culpabilité que lui a laissé son père, un devoir de battre en brèche son éducation catholique.
Mais c'est ce père si ambivalent qui sauva Gérard. « Il se savait dangereux pour moi. Il avait, je crois, voulu me sauver de lui et se sauver de lui-même à travers moi, à l'ancienne. » (p. 25) Gérard est élevé par une tante et un oncle mis au ban de la famille. C'est là qu'il a ses premiers chocs artistiques, auprès d'un homme rustre qui n'avait pas conscience qu'il sublimait la réalité. Puis Gérard découvre la pension. Alors qu'elle est une prison pour certains, le garçon y fait l'expérience d'une liberté inouïe.
Adulte, il sait qu'il veut peindre, mais quelque chose le retient. Des peurs, des angoisses, des restes d'enfance. Gérard tombe alors dans le délire et découvre les centres psychiatriques. « le délire, c'est une fuite, une peur d'être au monde, alors, on préfère se croire mort, tout-puissant, ou juste un enfant. » (p. 86) Mari, puis père, Gérard ne peut empêcher son esprit de lâcher prise. Il fut un enfant rêveur, il est maintenant un adulte tourmenté et inquiet. Pour peindre, il lui faut s'affranchir de ses angoisses. « le délire ne déclenche pas la peinture, et l'inverse n'est pas plus vrai. La création demande de la force. » (p. 97) Et l'on suit le peintre, ses premiers succès, ses expositions, ses rencontres. le talent est là, sans aucun doute, encore faut-il qu'il soit reconnu. Alors, finalement, qui est cet homme ? « Je suis peintre. Et fou, parfois. » (p. 133)
J'ai été profondément bouleversée par la figure de ce peintre qui se sait fragile et qui, petit à petit, détricote tout un écheveau culturel. Il repousse le catholicisme inepte et s'ouvre à la pensée judaïque. Il s'affranchit, autant qu'il le peut, d'un héritage qu'il ne reconnaît pas. Avec quel brio Gérard Garouste décrit-il son père ! À la fois figure à détruire et à distancer, cet homme a tout fait pour son fils. Mais, au terme de sa vie, il a cédé à ses terreurs et à préféré tout lui supprimer. La détresse du gamin, dans les premiers chapitres, m'a rappelé les chefs d'oeuvre de Jules Vallès, de Jules Renard ou d'Hervé Bazin : ces gosses-là avaient le coeur trop grand et trop tendre et leurs parents n'en on pas tenu compte.
Le sous-titre donne l'idée d'une gradation : le fils est devenu peintre qui est devenu fou. L'enfant portait en lui le peintre et le fou. Mais le fou cherche à redevenir un enfant et c'est le peintre qui le lui permet. Cette lecture est une grande claque. Je ne connaissais pas le peintre avant de lire son autobiographie. À comparer les toiles et le texte, je trouve la même beauté, la même complexité : il y a des chemins secrets partout, des mystères partout. Dans cette autobiographie, Gérard Garouste ne condamne pas son père : ce dernier avait signé tout seul sa sentence. le peintre ne blâme que lui-même pour ses faiblesses et ses hésitations. Mais il ne fait de façon telle qu'il sublime le processus de création, il donne au talent une dimension qui dépasse le génie. Il investit l'art et se revendique à travers lui.
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