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Critique de Berthelivre


Ceux qui ont eu des chiens ou des chats savent immédiatement que Romain Gary ne feint pas quand il parle des siens et de l'amour qu'il leur porte. Pour ce qui est des pythons, je laisse la réponse aux connaisseurs.
Le livre commence par des descriptions de ces animaux de compagnie, délicieuses, drôles et tendres. Mais le chien qui donne son titre au roman, ramène vite le lecteur à la réalité de l'Amérique du printemps 1968.

Chien Blanc, c'est plus qu'un roman. C'est un reportage de journaliste : Gary chronique les émeutes auxquelles il assiste et les états d'esprit qu'il constate, après l'assassinat de Martin Luther King. C'est un journal intime : Jean Seberg, actrice célèbre à cette époque et épouse de Romain Gary, l'accompagne dans ce séjour en Amérique, elle est souvent présente dans le livre, et se montre très concernée par les luttes anti-racisme. Ce sont aussi, tout au long, les pensées d'un homme qui a beaucoup vécu, s'est beaucoup engagé, voudrait croire à une humanité en progrès, mais dont le découragement devant la « Bêtise » des hommes gagne du terrain. Ces accès de lassitude découragée qui reviennent en leitmotiv, quand on sait le suicide de Gary dix ans plus tard, pourraient faire penser à des signes précurseurs, des alertes douloureuses.

Le texte autour de ce chien dressé à attaquer tous ceux qui sont noirs et que Gary a décidé de « guérir », est une salve ininterrompue de scènes denses, pleines d'émotions. Celles que Gary relate, celles qu'il ressent avec une sensibilité qui ne loupe rien mais qui traduit tout au prisme de son humour impitoyable. La dérision pour enrubanner le tragique.

Et il y a de quoi s'étonner ou plonger dans l'incompréhension : les Blancs aisés ou très riches (du monde du cinéma en particulier) qui pour se donner bonne conscience, participent généreusement aux comités de soutien de lutte contre le racisme, et dont les dons sont escamotés par le comité lui-même ou par son entourage proche; le racisme réciproque, quotidien, entre ceux de couleur et ceux qui n'en ont pas, tellement ancré qu'on se dit qu'il a été inculqué avec le premier biberon ; le mépris pour les couples mixtes ; les jeunes Noirs encouragés par leurs leaders à aller combattre au Vietnam sous le drapeau américain, pour apprendre les meilleures techniques de lutte et de guérillas, afin de former à leur retour aux Etats-Unis, une armée de terroristes aguerris qui délivrera enfin leur peuple de l'oppression des Blancs ; les excès idéologiques de tous ordres… Gary n'en finit pas de constater que la « Bêtise » de l'humanité est sans fin et cela le rend tour à tour désabusé ou furieux.

« Je ne suis pas découragé. Mais mon amour excessif de la vie rend mes rapports avec elle très difficile, comme il est difficile d'aimer une femme que l'on ne peut ni aider, ni changer, ni quitter. »

Ces avis de Romain Gary sur la société américaine et son racisme omniprésent datent de 1969. Aurait-il une vision différente un demi-siècle plus tard ?

Tout est dit avec une verve galopante et une ironie incisive constante, jubilatoire ou dévastatrice. Tant d'esprit et de brio dans ces constats qui pourraient être banalement amers, et qui conservent pourtant une intelligence subtile grâce à l'éclairage de l'humour. La politesse étourdissante du désespoir.

PS : je conseille au lecteur pressé le chapitre XXI : première soirée de Gary à son retour à Paris, en mai 1968, pendant "les évènements". Ce chapitre peut se lire isolément (il serait quand même dommage de rater tout le reste) et à lui tout seul, il résume l'esprit de Gary : son regard infiniment concerné sur le monde et par le monde, et sa lucidité hilarante sur ce monde tragicomique et sur lui-même.

PS n° 2 : j'ai dû lire ce livre une première fois, il y a une quarantaine d'années, si j'en crois la date d'édition de mon exemplaire. Je n'en avais aucun souvenir. Aucun. Etais-je trop boulimique de l'écrit à l'époque ? Ou y a-t-il un âge pour chaque livre et suis-je enfin à celui qui répond et correspond à « Chien Blanc » ? Je vous en reparle en 2063 ?
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